Il faut sortir d'Afghanistan

Photo: Agence Reuters

Il paraît absolument évident qu'il va être beaucoup plus difficile de sortir d'Afghanistan que ça ne l'a été d'y entrer. On continue de rapatrier les dépouilles des soldats canadiens et québécois, morts sans trop savoir pourquoi, alors que le premier ministre Stephen Harper continue de se voiler la face.

Les politiciens continuent d'aller se faire voir à Kandahar, ils serrent la main d'Hamid Karzaï, estimant sans doute que c'est bon pour leur image, et les journalistes continuent d'être les porte-voix de l'armée parce qu'ils n'ont pas accès à une information pleine et entière. Combien nous faudra-t-il de morts avant de dire que ça suffit? Moi, je pense avoir atteint mon quota mardi dernier avec la mort du jeune Richard Renaud, dont l'épouse attend leur premier enfant.

J'ai essayé de me rappeler pourquoi les soldats québécois et canadiens sont en Afghanistan. J'ai retrouvé les premières images qui nous sont parvenues de ce pays lointain dont on ne connaissait que peu de choses avant de voir ces femmes couvertes de la tête aux pieds sous ce costume qui constituait leur seul territoire personnel, la burqa. Nous ne savions pas que ça existait quelque part dans le monde. Nous avons appris beaucoup de choses sur le sort des femmes de ce pays depuis 2001.

Je me souviens de la révolte que nous avons ressentie en constatant le traitement qu'on faisait subir aux femmes sous prétexte de religion. Le choc a été assez fort pour que la guerre aux talibans, qu'on annonçait déjà et dont on disait qu'un des objectifs serait de libérer les femmes afghanes, nous soit apparue comme une solution possible à l'horreur que la vie de ces femmes était devenue. Naïves que nous étions. Comme si on avait déjà fait des guerres pour sauver des femmes...

Le temps a passé. Nous avons appris avec étonnement que les soldats canadiens auraient une double mission: détruire les talibans et, en même temps, reconstruire l'Afghanistan. Nous avons écarquillé les yeux tellement ces deux objectifs paraissaient impossibles à mener de front. Nous avons ensuite vu revenir les dépouilles de nos premiers morts sans avoir la certitude que leur sacrifice servait à quelque chose. Le doute s'est installé. Profond. Dérangeant.

Je n'ai jamais mis les pieds en Afghanistan ni au Pakistan. À la télévision, j'ai vu de belles images montrant des kilomètres et des kilomètres de champs de fleurs de pavot, longues sur tige, poussant au soleil et rapportant des sommes d'argent au-delà de l'imaginaire à ceux qui les cultivent. Puis, de temps en temps, au fil des reportages, des années plus tard, des femmes, toujours vêtues de la burqa, marchant discrètement dans la foule sans que personne s'en inquiète. Cette semaine, j'ai vu que les talibans avaient réussi à faire sauter l'hôtel le plus luxueux au coeur même de Kaboul. J'en ai tiré la terrible conclusion que la guerre que nous menons n'a pas donné les résultats escomptés. Il serait peut-être temps que quelqu'un le dise. Officiellement.

Puis, une toute petite nouvelle de l'agence Reuters a attiré mon attention dans un de nos quotidiens cette semaine. Ça n'a pas l'air très important mais ça donne à réfléchir. Comme nous aurons bientôt à dire au gouvernement Harper ce que nous voulons quant à notre engagement en Afghanistan (les élections sont prévisibles), il est important de lire cette nouvelle: «Le conseil religieux de la province de Takhar, dans le nord-est de l'Afghanistan, a interdit aux tailleurs de prendre les mesures de leurs clientes. Cette interdiction, prise récemment, a été annoncée ce week-end par le gouverneur local, Abdul Latif Ibrahimi, qui a précisé que dorénavant, seules les employées de sexe féminin seront autorisées à prendre ces mesures.» Le gouverneur n'a pas indiqué quelles sanctions encourront les éventuels contrevenants.

C'est exactement ce qu'avaient fait les talibans quand ils étaient au pouvoir. Ils avaient aussi interdit aux femmes de travailler ou de s'aventurer dans la rue sans une burqa les couvrant de la tête aux pieds. Je me suis dit que plus ça change, plus c'est pareil. Ça permet de mesurer le succès de la guerre dans ce pays où des hommes et des femmes d'ici risquent de mourir inutilement.

Hamid Karzaï a affirmé que «Kandahar deviendra un des principaux foyers du terrorisme si les Canadiens s'en vont». Je crois que c'est déjà fait. Raison de plus pour qu'on arrête tout. Qu'on ramène nos troupes. Et qu'on se pose de nouveau la question de savoir quel rôle nous voulons voir nos soldats jouer dans le monde. La réflexion s'impose de manière urgente. Parce que le gâchis afghan a assez duré.

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