L'exemple d'en haut
On a déjà dit que le plus grand mérite de Jean Lesage n'est pas d'avoir présidé à la Révolution tranquille mais bien de ne pas l'avoir empêchée.
De la même façon, il faut être reconnaissant à René Lévesque d'avoir laissé Camille Laurin faire adopter la loi 101, malgré la répugnance que lui inspirait une législation sur la langue, comme M. Lesage l'avait lui-même laissé nationaliser l'électricité.S'il y a une chose dont le mérite lui revient toutefois entièrement, c'est l'assainissement des moeurs politiques. Même si elle comporte des lacunes, ceux qui n'ont pas connu l'«ancien temps» peuvent difficilement imaginer à quel point la Loi sur le financement des partis politiques constituait une autre révolution.
Si on se souvient de Paul Martin, ce sera plutôt comme d'une des plus belles illustrations du principe de Peter en politique. Ces temps-ci, les libéraux fédéraux doivent pleinement comprendre ce que signifie l'expression «tomber de Charybde en Scylla».
À sa manière, M. Martin aura pourtant contribué au nettoyage des écuries d'Augias. Créer une commission d'enquête pour faire la lumière sur le scandale des commandites a peut-être été nuisible aux intérêts du PLC et à la carrière de M. Martin lui-même, mais cela a néanmoins été bénéfique pour le pays.
Le premier devoir d'un premier ministre est cependant de prêcher par l'exemple. S'il est le premier à faire bon marché de l'éthique, il sera impossible d'introduire plus de moralité dans le système, peu importe les lois ou les commissions.
À bien des égards, Brian Mulroney a été un grand premier ministre. Les environnementalistes le tiennent déjà pour le plus grand que le pays ait connu. L'introduction de la TPS, la signature de l'accord de libre-échange avec les États-Unis et sa tentative, même ratée, de réparer le gâchis constitutionnel de 1982 témoignent de son courage et de sa vision.
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Même si l'ancien premier ministre demeure un homme généralement estimé, du moins au Québec, toutes ces belles réalisations risquent d'être gravement ternies par le doute grandissant sur la nature de ses relations avec ce personnage éminemment louche qu'est l'homme d'affaires et lobbyiste allemand Karlheinz Schreiber.
Quand M. Mulroney a été blanchi dans l'affaire Airbus et que le gouvernement Chrétien lui a versé un dédommagement de 2,1 millions, la population a généralement accepté la thèse d'une vendetta mesquine menée par les libéraux contre un ancien adversaire politique.
Il est évidemment hors de question pour Stephen Harper d'ordonner une nouvelle enquête sur son mentor, mais les dernières révélations du Globe and Mail et de l'émission The Fifth Estate, de la CBC, n'en demeurent pas moins troublantes.
Que M. Mulroney ait tardé à déclarer au fisc les 300 000 $ reçus de M. Schreiber ne signifie pas nécessairement qu'il ait touché des pots-de-vin, mais personne n'aime avoir l'impression d'être pris pour un imbécile.
Il ne faut pas prendre la parole de M. Schreiber pour argent comptant, mais on ne reçoit pas 300 000 $ d'un homme avec lequel on assure n'avoir aucun lien d'affaires et qu'on dit avoir rencontré seulement «une ou deux fois» autour d'un café. Il faudrait être une nouille pour ajouter foi à cette histoire de pâtes alimentaires dont M. Mulroney aurait fait la promotion.
On conçoit facilement que M. Mulroney n'aime pas beaucoup ressasser ces mauvais souvenirs, mais comment expliquer qu'il n'y soit pas fait la moindre allusion dans des mémoires totalisant plus de 1200 pages?
À l'entendre dire qu'il s'expliquera dans son prochain livre, on pense immédiatement à Jean Drapeau, qui a prétendu pendant des années travailler à sa réplique au rapport du juge Malouf sur les coûts de l'aventure olympique de 1976 mais qui est finalement décédé sans l'avoir jamais publiée.
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Quand l'exemple vient de haut, pourquoi ceux qui oeuvrent au ras des pâquerettes se priveraient-ils de profiter des contacts qu'ils ont pu établir au cours de leur passage en politique? Ainsi, Le Soleil rapportait cette semaine qu'après sa défaite dans Abitibi-Est aux élections du 26 mars dernier, l'ancien ministre des Ressources naturelles dans le cabinet Charest, Pierre Corbeil, a jugé plus intéressant de se recycler dans l'industrie minière que de retourner à sa chaise de dentiste.
À Québec, l'opposition lui reproche de ne pas avoir respecté le code d'éthique édicté en 2003 par le premier ministre Jean Charest, qui imposait un purgatoire de deux ans à ses ministres avant d'accepter une nomination à un conseil d'administration ou à une fonction au sein d'une entreprise avec laquelle ils ont eu «des rapports officiels directs et importants» pendant leur dernière année en fonction.
M. Corbeil fait une lecture assez originale de la directive du premier ministre: «La teneur de cette directive est pour éviter que quelqu'un se prépare une piste d'atterrissage à la fin de sa vie publique, ce qui n'est pas mon cas parce que j'avais sollicité un renouvellement de mandat.»
Assez ironiquement, à l'époque où il était ministre, M. Corbeil s'était placé dans une position tout aussi embarrassante pour avoir fait la démarche inverse, c'est-à-dire en intervenant en faveur d'une avionnerie de Val-d'Or dont il était actionnaire avant son entrée en politique.
Même si le p.-d.g. de Canadian Royalties reconnaît avoir retenu ses services comme conseiller parce qu'il a «beaucoup de connaissances, de contacts», il se défend bien d'agir comme lobbyiste. Bien sûr, il savait que cette entreprise avait un projet d'un demi-milliard dans le Nunavik, mais simplement «parce qu'on en faisait état sur la place publique».
M. Corbeil n'a pas rompu avec la politique pour autant. L'été dernier, il voyageait encore dans le Grand Nord à bord d'un avion gouvernemental en compagnie d'anciens collègues du cabinet Charest. Il préside aussi un comité de réflexion du PLQ. Où est le problème? Brian Mulroney n'a pas coupé ses liens avec le Parti conservateur, et cela ne l'empêche pas de faire des affaires!
mdavid@ledevoir.com