Perspectives - C'était hier
L'Accord de libre-échange canado-américain a 20 ans. Son succès ne fait désormais plus de doute. Pourtant, il ne peut déjà plus servir de modèle pour les négociations commerciales à venir.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette pub télé avait du punch. Le narrateur avait cette grosse voix d'outre-tombe que l'on ne sort habituellement que pour les campagnes de sécurité routière ou pour mousser le nouveau thriller à l'affiche. Mais l'image était plus frappante encore. On y voyait en gros plan une carte représentant les contours de la frontière séparant le Canada et les États-Unis. Et puis, arrivait une main, armée d'une efface, qui faisait lentement disparaître la dernière barrière protégeant les Canadiens contre l'assimilation.Vingt ans plus tard, on se rend bien compte à quel point les craintes soulevées par la conclusion de l'Accord de libre-échange canado-américain le 4 octobre 1987, étaient grandement exagérées. Même si les promesses de retombées positives ne se sont pas toutes concrétisées non plus — on n'a qu'à penser à la fin de l'arbitraire commerciale américain que le mécanisme de règlement des différends devait amener dans un dossier comme celui du bois d'oeuvre — la forte majorité des Canadiens conviennent aujourd'hui que l'entente a été une bonne chose pour eux.
Phénomène plus étonnant, en cette période de montée du protectionnisme aux États-Unis et de ressac de l'opinion publique mondiale à leur égard, un récent sondage de l'Institut SES Research montre également qu'une majorité d'Américains et que plus des deux tiers des Canadiens se disent favorables à un renforcement des liens économiques entre les deux pays.
Il n'en fallait pas plus au ministre des Affaires étrangères, Maxime Bernier, pour en conclure, la semaine dernière, que le débat sur les bienfaits du commerce et la nécessité de poursuivre sa libéralisation était clos et que les opposants qui ont critiqué le projet de Partenariat pour la sécurité et la prospérité discuté lors du dernier sommet de l'ALENA à Montebello au mois d'août «expriment des points de vue que la majorité de la population ne partage pas».
Pas une mince tâche
La négociation d'un éventuel accord formel visant le renforcement des liens économiques entre le Canada et les États-Unis ne sera pas une mince tâche. Jusqu'au milieu des années 90, la plupart des négociations commerciales visaient essentiellement à réduire des quotas et des tarifs qui s'appliquaient à des biens physiquement transportés d'un bord à l'autre de la frontière. Pour aller une étape plus loin, il faut: soit s'attaquer aux enjeux que l'on avait laissés de côté parce que la résistance y était trop forte, comme l'agriculture et la libre circulation des personnes; soit s'attaquer à des questions beaucoup plus complexes et délicates comme la libéralisation des services, la défense des droits intellectuels, et l'harmonisation des normes sanitaires, professionnelles et techniques.
En attendant, disent les experts, c'est loin d'être le statu quo. Les entreprises, et parfois même des industries toutes entières, développent sans cesse de nouvelles façons de faire cherchant à mettre à profit le rapetissement continuel de la planète grâce aux innovations en matière technologique et de gestion. Les gouvernements et leurs traités de libre-échange apparaissent de plus en plus souvent à la remorque des pratiques d'affaires, quand ils arrivent déjà à suivre.
Un tel phénomène ne constitue pas nécessairement un problème tant qu'il sert les bons objectifs et qu'il n'affecte pas fondamentalement le pouvoir des États de corriger la situation au besoin. Le laissez-faire en matière commerciale aura toutefois toujours tendance à servir les intérêts du plus gros et du plus fort. Le Canada a compris depuis longtemps qu'il est mieux servi par des règles commerciales formelles et négociées, si possible entre le plus grand nombre de pays.
Négocier différemment
Comme les enjeux qui sont abordés de nos jours dans les négociations commerciales sont de plus en plus délicats et complexes, on voit mal comment les gouvernements pourraient ne pas se soucier de leur caractère démocratique. Maxime Bernier peut bien faire le fier en opposant les sondages aux manifestants qui ont essayé de perturber la fête à Montebello, il n'a pas fini d'entendre la critique contre le manque de transparence des discussions à l'ALENA autour du Partenariat pour la sécurité et la prospérité.
Il n'y a pas que les anarchistes qui trouvent anormal que l'on fasse tant de secret autour de travaux qui, bien que généralement très techniques, peuvent éventuellement avoir des implications importantes pour l'ensemble des citoyens. Aussi bien se faire une raison, on ne peut plus négocier les accords commerciaux comme on le faisait en 1987.
Comme plusieurs l'on déjà dit, une première correction à apporter serait de faire une plus grande place aux parlementaires tout au long des travaux. Mais il faudra aussi trouver une façon d'élargir la représentation de la société civile, qui se limite encore trop souvent aujourd'hui au seul milieu des affaires.
Encore une fois, ce n'est pas seulement les anarchistes qui le disent. «Soyons clairs: nous avons besoin de vous pour élaborer notre programme de travail», a déclaré la semaine dernière le directeur général de l'Organisation mondiale du commerce, Pascal Lamy, au moment d'inaugurer l'édition 2007 du Forum public de l'OMC auquel ont participé 1750 représentants de parlements, de syndicats, de groupes patronaux, d'organisations environnementales, d'organismes humanitaires, de mouvements de défenses des droits, d'autres organisations internationales et de médias. En plus d'apporter un éclairage différent et précieux aux négociations en cours, s'est félicité Pascal Lamy, l'engagement de la société civile a permis de remporter de nombreux «succès» comme l'ajout aux négociations du cycle de Doha de questions liées à l'environnement et à l'aide humanitaire et la conclusion du fameux accord sur l'accès à certains médicaments à des prix abordables pour les pays pauvres.
Voilà un autre signe que les choses ne sont plus ce qu'elles étaient en matière de négociation commerciale, ou du moins, qu'elles ne peuvent plus le rester, y compris au Canada.