Si la composition est bonne

À l'université, les étudiants rendent les dernières compositions. Au même moment, les théâtres dévoilent leurs saisons. Un autre genre de compositions que celles-là, en somme, où les directeurs de nos théâtres consignent sur papier ce qui prendra ensuite chair sur les planches avec plus ou moins d'intensité.

Quelle utilité y a-t-il dès lors à considérer l'habileté ou la maladresse avec lesquelles certains bâtissent de tels châteaux de cartes? Aucune, sinon celle d'offrir un coup de main à ceux qui s'apprêtent à lier leur sort (ou quelques-unes de leurs soirées) à une maison ou à sa concurrente dans l'espoir d'y dénicher la combinaison gagnante.

Mais il en va souvent des programmations des théâtres comme des grilles-horaires de nos télévisions généralistes: à force de vouloir plaire à vous et à votre père, elles ne leur plaisent pas en même temps. Il arrive cependant qu'un directeur, voire plusieurs, réussissent des jeux d'équilibre plus saisissants que d'autres.

Moi qui n'ai pas écrit que du bien sur le TNM, je trouve que, cette fois-ci, Lorraine Pintal présente l'offre la plus équilibrée. Certes, le Shakespeare aurait pu être différent. Tragique plutôt que comique, sinon confié à un metteur en scène qui ne vise pas qu'au divertissement. Mais ne chipotons pas puisque, tout compte fait, il se trouve, dans cette saison, quelques pointes d'audace, dont ce Dumas père (Kean), mon Claudel préféré, le nouveau Michel-Marc Bouchard et surtout la présence bienvenue de celui qu'on surnomme le Tchekhov irlandais, Brian Friel. De plus, l'annonce d'une réciprocité avec le reste du monde, qui se concrétise par l'invitation de deux metteurs en scène étrangers, amis du Québec, ne peut qu'être saluée. C'est un signe de maturité artistique qui, sans nul doute, créera de l'émulation dans la communauté théâtrale. Bonne idée aussi que de terminer la saison sur La Face cachée de la Lune, un Lepage qui en incitera sûrement plusieurs à s'abonner.

Ailleurs, c'est-à-dire à Ottawa, Denis Marleau a opté pour la suite dans les idées plutôt que pour la diversité. Peu auraient osé offrir sur un même plateau Beckett, Duras, Koltès, Minyana et un Norvégien inconnu. À leurs côtés, Plaute, Feydeau et Tremblay peuvent apparaître comme des concessions au grand public. Mais n'oublions pas que, dans son parcours, le nouveau directeur du théâtre français au Centre national des arts a fait preuve de sens de l'humour plus souvent qu'à son tour.

La palme du déséquilibre dans la programmation va à Pierre Rousseau, du Théâtre Denise-Pelletier. Dans la grande salle de l'Est montréalais, rendez-vous des scolaires, il n'y en a que pour la comédie au cours de la saison 2002-03, que celle-ci s'approche du tragique (Le Misanthrope), frise l'absurde (En attendant Godot), se fasse grinçante (Le Révizor), attendrissante (Un chant de Noël) ou se donne en vers, comme c'est le cas de l'excellent Menteur de Corneille, actualisé avec invention par Martin Faucher.

Du Rideau Vert, on pourrait dire que sa direction propose une saison cassée en deux: d'un côté, le théâtre sérieux; de l'autre, la veine populaire. Mais c'est regarder les choses de manière bien lapidaire. De toute façon, c'est là un examen bien incomplet. D'autres saisons sont annoncées bien plus tardivement. Ainsi, La Licorne le fait presque toujours à la dernière minute. D'ailleurs, peu importe que la saison nous parvienne un peu tard si la composition est bonne...

rvguay@mlink.net

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