La gifle des gifles
Il était une fois un homme qui allait recevoir une gifle méritée. On ne savait pas qui la lui donnerait, mais on se doutait qu'il s'agirait d'une femme. On se demandait laquelle, parmi toutes celles qui lui en voulaient, allait passer à l'acte. On se demandait aussi quand, au juste, cela allait se produire.
Voilà pour le suspense contenu dans La Gifle. Là ne se situe pas l'intérêt du livre, vous l'aurez compris assez vite. Vous aurez saisi assez tôt aussi que vous n'êtes pas dans un roman classique. Plutôt dans une parodie. Une parodie qui flirte avec le conte, la fable. Et le film de série B à l'italienne.La Gifle est le deuxième roman de Roxanne Bouchard, née en 1972. Pour son précédent, Whisky et paraboles, elle a reçu le prix Robert-Cliche du premier roman, en 2005. Elle vient aussi d'obtenir le Grand Prix de la relève littéraire Archambault. Une auteure québécoise à surveiller, assurément.
Déjà, on avait noté la fantaisie, l'humour, l'écriture imagée, dans Whisky et paraboles. On peut dire qu'avec La Gifle, Roxanne Bouchard donne un grand coup. Tient la bride serré. Et file au galop.
Pas d'envolées maladroites, pas de contorsions qui s'étirent, telles que reprochées à l'auteure il y a deux ans. Mais alors là, pas du tout. C'est efficace, bref, et sans prétention. On sent que l'écrivaine s'amuse à l'autre bout. Et on en fait tout autant. Du bon divertissement, quoi. Et même un peu plus...
Tout se passe en une journée. Avec allers-retours dans le passé pour situer le contexte, donner corps aux personnages. Entre chaque chapitre, scène ou tableau, bref, au fur et à mesure que progresse la journée et qu'on s'approche du moment fatidique, se glissent aussi des considérations sur... la gifle.
C'est-à-dire: quand la première gifle sur une joue québécoise a-t-elle été donnée? Quelles sortes de gifles peut-on répertorier? Pourquoi en fait-on usage? Quelles sont les plus efficaces? Les plus célèbres? Etc. En soi, ces notices, qu'on finit par attendre, sont de petits bijoux de drôlerie. Pour ne pas dire de raillerie. Du genre: «En fait, il semble que la gifle masculine ne soit plus pratiquée depuis que les cinéastes ont porté à l'écran de petites guérillas homosexuelles qui se passaient dans les loges de théâtres gais.»
Puis: «Après avoir vu des travestis affublés de plumes et de paillettes se battre à grands coups de taloches molles, les hommes ont décidé, à tort ou à raison, que la gifle n'était plus un signe de virilité conquérante.»
Le meilleur reste à venir: «La gifle entre femmes excite quant à elle l'humour macho, c'est bien connu. Heureusement, les participantes à la claque enragée, au tirage de cheveux, au graffignage acéré et au déchirage de blouses sont plutôt rares. Ordinairement, les femmes se contentent avec sagesse et maturité du traditionnel persiflage mesquin, de la raillerie cruelle et de la médisance hypocrite. Les autres, carrément, enfilent des bikinis et des surnoms tapageurs et se joignent aux rangs des lutteuses dans la boue, l'huile ou le Jell-O. Au choix.»
Et ainsi de suite... Pour le reste... Vous le savez déjà, c'est un homme qui sera giflé. Il s'appelle François Levasseur, il est peintre. Peintre un peu raté, pour tout dire: il peint des portraits de vieilles Anglaises pleines aux as, qui viennent
le voir d'abord et avant tout pour ses prouesses sexuelles.
Autrement dit: «De placotage en commérage, les dignes Anglaises trouvèrent finalement que le grand peintre avait des allures de petit gigolo sans talent. Les toiles s'empilèrent dans des greniers poussiéreux et François Levasseur tomba dans l'oubli.»
Autre précision: ledit François est né d'un père québécois qui a déguerpi avant sa naissance et d'une mère italienne dominatrice. La mamma en question figure d'ailleurs parmi les quatre femmes qu'on soupçonne d'en venir aux coups avec le héros ce jour-là, un jour d'août 1978.
Nous sommes dans un petit village du Bas-du-Fleuve, où vivent plusieurs Italiens. Un mariage aura lieu. Un mariage italien. La future, une Italienne aux allures de nymphe promise à un Italien macho, est la vengeresse potentielle numéro 2. Suivent la petite amie du peintre... italienne, et sa maîtresse... italienne.
Le clou de l'histoire: ce cher François sera accusé de plagiat. Et la réception du mariage tournera à la catastrophe. À la farce, en fait. Oh la la. Rocambolesque, je vous dis.
Défi relevé pour Roxanne Bouchard, dont le livre paraît en même temps que deux autres romans dans la nouvelle collection «Coups de tête» (voir article page F 2). En passant, tandis que les meurtres, la violence et le sang occupent une bonne place dans les romans de ses deux comparses masculins, l'auteure de La Gifle se contente d'une... gifle. Une simple gifle. Mais quelle gifle!
À lire d'un trait. Du bonbon. Encore, s'il vous plaît.
Collaboratrice du Devoir
***
La gifle
Roxanne Bouchard
Coups de tête
Montréal, 2007, 112 pages
(En librairie à compter du 15 mai)