L'arrogance des médecins
Àl'instar de presque tous les Québécois et d'une majorité de commentateurs, j'ai toujours hésité à critiquer les médecins. Il y a d'abord la complexité du dossier mais surtout une sorte d'admiration mythique pour ces gens qui sauvent des vies, de telle sorte qu'il est difficile de conclure devant leurs revendications répétées qu'ils se conduisent souvent comme de simples commerçants qui veulent augmenter une marge de profit déjà plus que respectable et que, pour y parvenir, ils sont prêts à recourir au chantage et à la pire des propagandes.
Le chantage, c'est la menace permanente du départ vers les États-Unis ou le Canada anglais, chantage qui ne s'est jamais concrétisé dans les faits. À la fin des années 60 et au début des années 70, les collèges de médecins, appuyés par les millions de dollars fournis par l'American Medical Association, ont mené une lutte de propagande contre l'assurance-hospitalisation et l'assurance-santé, médecine socialiste comparable à celle des bolcheviques.La propagande, quant à elle, a toujours été constante: «Dans les conditions actuelles, nous ne pouvons assurer des soins de qualité, et le système met la santé publique en danger», dit-on à chaque négociation salariale, même si, depuis 30 ans, la performance du système public, malgré des problèmes indéniables, n'a fait que des progrès. Le dernier message télévisé de la Fédération des médecins spécialistes, qui nous montre ce malade perfusé, anonyme dans la foule, marchant inexorablement vers une mort implicite, démontre une absence de responsabilité civique proprement scandaleuse. Encore une fois, ces gens nous disent implicitement qu'ils se situent en dehors des normes que la société accepte. Ce sont des dieux.
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Quand un enseignant sort de l'université, il pose sa candidature dans une commission scolaire. Il soumet ses notes et espère qu'on lui trouve un emploi qui ne soit pas très loin de chez lui. Il fait de la suppléance, remplit des tâches dans lesquelles il n'est pas spécialiste, travaille dans des milieux défavorisés. On pourrait dire la même chose de tous les métiers pratiqués au Québec, sauf deux: les avocats et les médecins. Les avocats ne gueulent jamais à propos de leur salaire, sauf s'ils sont procureurs de la Couronne. Ils prennent le risque d'aller généralement en pratique privée et de gagner de l'argent en observant les lois du commerce ignoble qui sont les leurs. Tant pis s'ils ne réussissent pas. C'est pour cela qu'il existe des avocats très riches et des avocats très peu riches. Les avocats, dans le fond, ne se prennent pas pour d'autres. Ils se prennent pour des plombiers. Ils sont toujours trop chers. Mais les médecins, eux, sont les papes de la vie, les dépositaires de notre bien-être. Les médecins, ce n'est pas rien, c'est la vie.
L'OCDE a souligné dans plusieurs études qu'un des principaux problèmes du système de santé est le mode de rémunération à l'acte. En effet, pour accepter l'instauration du système de santé public, ils se sont taillé un mode de mise en marché de leurs services absolument surréaliste. La très grande majorité des actes médicaux qu'ils posent est remboursée automatiquement par l'État, mais en plus, ils ont trouvé le moyen, en plus de cette sécurité absolue, d'agir comme des pigistes ou des entrepreneurs privés. De plus, pour s'assurer que leur part du gâteau financier ne diminue jamais, ils ont convaincu les gouvernements successifs de contingenter le nombre de nouveaux médecins et d'interdire concrètement l'engagement des médecins étrangers. Cela s'appelle un marché fermé et monopolistique. Moins il y a de médecins, plus la rémunération minimale augmente en fonction de la croissance des actes faits. Ce n'est pas sorcier.
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Pour des raisons que je ne comprends pas, tous les gouvernements ont généralement plié devant le lobby médical. Cela tient probablement à la peur politique d'affronter franchement et ouvertement cette profession qui, ici, est mythique et dont les membres, de tous les professionnels, sont les plus estimés et les plus admirés par la population.
Le ministre Legault, jeudi, s'est opposé à la propagande des médecins spécialistes. J'aurais aimé qu'il le fasse plus vigoureusement et qu'il dénonce cette démagogie de bas étage, digne des politiciens les plus abjects. Il aurait pu en profiter pour rappeler à ces gens que comparativement à tous leurs confrères de l'Occident (à l'exception des États-Unis, où la médecine est devenue un vulgaire commerce), les spécialistes jouissent ici d'un statut et de revenus infiniment supérieurs et privilégiés. Il aurait pu leur rappeler qu'au bout du compte, ils sont des salariés du gouvernement et non des entrepreneurs privés, et que s'ils veulent prendre le risque du privé, ils n'ont qu'à le faire en sortant du régime. Il aurait pu enfin leur dire que des centaines de médecins spécialistes européens, tout aussi compétents qu'eux, seraient plus qu'heureux de venir s'installer au Québec pour doubler ou tripler leur revenu. Il n'a pas osé le faire; je le fais donc à sa place, convaincu que, dans son for intérieur, il n'est pas loin de penser comme moi.