Perspectives - Le rêve de Chávez, le cash des Américains

Hugo Chávez
Photo: Agence Reuters Hugo Chávez

Caracas — La présidentielle consommée, le Venezuela reprenait son souffle, hier, et digérait les implications du nouveau mandat confié à Hugo Chávez, après des semaines de déchirements électoraux. «Le pays entre dans une étape cruciale, estime José Roberto Duque, journaliste et écrivain. Je crois que si Chávez n'agit pas rapidement pour trouver des solutions durables aux problèmes sociaux du pays, notamment dans les domaines de la santé et de l'habitation, l'adulation dont il est l'objet parmi les pauvres qui l'ont élu va commencer à pâlir.»

En termes nébuleux, le président réélu pour six ans a proclamé, dimanche soir, du balcon du palais présidentiel de Miraflores, «le début d'une nouvelle ère avec, comme orientation stratégique fondamentale, l'approfondissement et l'expansion de la révolution bolivarienne». Mais qu'est-ce à dire? M. Duque, comme tous ses compatriotes, attend les détails.

Chose certaine, M. Chávez ne peut guère espérer, du moins pour le moment, réaliser son rêve de radicalisation socialiste sans les ventes massives de pétrole faites aux États-Unis par la PDVSA, la pétrolière d'État, coffre-fort de sa révolution et de ses programmes sociaux. Il y avait une bonne part d'ironie à l'entendre en fin de semaine affirmer que sa victoire «est une nouvelle défaite pour le diable [américain] qui essaie de dominer le monde». La dépendance des États-Unis à l'égard du pétrole vénézuélien induit la dépendance du Venezuela à l'endroit des marchés américains. Plus de la moitié du pétrole vénézuélien prend la route, par tankers, des États-Unis — 1,5 million de barils par jour. Ensuite, le Venezuela vend de l'essence aux Américains par l'entremise des 14 000 stations-service Citgo que possède la PDVSA. Enfin, notait le printemps dernier The Atlantic Monthly, les immenses réserves que recèle le sous-sol vénézuélien sont un pétrole particulièrement visqueux dont les techniques de raffinage existent en Louisiane et au Texas, et non en Chine et en Inde.

S'affranchir de «l'impérialisme américain» et vouloir libérer l'Amérique latine de son joug est une chose, signalent les observateurs; y parvenir en est une autre. Chaque diminution de 1 $US du baril de pétrole se traduit par une perte de 1 milliard $US en revenus nationaux pour le Venezuela. La production de pétrole représente environ la moitié des encaisses de l'État, ce qui en fait une condition principale de la stabilité économique et politique du pays.

Sans compter celle du gouvernement Chávez: c'est la PDVSA qui subventionne à hauteur de 4 milliards $US l'économie sociale et les misiones en matière de santé, d'éducation et d'aide alimentaire qui font la popularité et soudent la base électorale de M. Chávez. C'est aussi le pétrole qui fait du PIB vénézuélien celui qui croît le plus rapidement en Amérique latine à l'heure actuelle. Hugo Chávez a remporté dimanche une victoire solide. Encore que courent dans certains quartiers de la société des soupçons de fraude électorale. Reste qu'il a obtenu la majorité, selon les chiffres officiels, dans chacun des 24 États de la république, y compris, quoique faiblement, dans l'État pétrolier de Zulia, fief de son rival Manuel Rosales. Reste en outre que le taux de participation (un peu plus de 75 %) aura été le plus élevé depuis la fin de la dictature, en 1958, signalait hier El Universal, le grand quotidien de l'opposition.

Pour autant, les sondages d'opinion indiquent que les Vénézuéliens sont loin d'être satisfaits de la façon dont le pays est mené. Il y a crise gravissime du logement pour les plus démunis: cinq millions de personnes (sur les 28 millions d'habitants que compte le pays) vivent dans des habitations précaires. Idem pour le marché du travail: l'économie informelle compte pour plus de la moitié des emplois. En dépit de l'ascendant de M. Chávez, son gouvernement était perçu comme corrompu et incompétent par les trois quarts des répondants à un sondage dont faisait état l'été dernier The Economist. Dans son palmarès de 2005, le groupe Transparency International a établi que le pays était le plus corrompu d'Amérique latine. Sans politique précise, là encore, M. Chávez a promis en campagne électorale de s'attaquer à la corruption, «ce cancer dont la cause principale est le capitalisme».

M. Chávez n'a pas fait grand cas non plus, en campagne, du problème de l'insécurité, pourtant considéré comme la préoccupation numéro un des Vénézuéliens, alors que le pays, et Caracas en particulier, traverse la pire vague de criminalité de son histoire. Le nombre d'homicides a augmenté de 67 % depuis 1999, quand M. Chávez est arrivé au pouvoir — de 5900 en 1999 à 9960 en 2005. Le Venezuela a le taux de mortalité par armes à feu le plus élevé parmi 57 pays étudiés dans un récent rapport de l'Unesco, plus élevé encore qu'au Brésil.

Des spécialistes tirent de cette criminalité la conclusion qu'elle a plus à voir avec la culture de violence et le délabrement des services policiers qu'avec le niveau de pauvreté, dont on s'entend pour dire qu'il a chuté au Venezuela. Les atteintes policières aux droits de la personne sont montrées du doigt: des enquêtes ont été ouvertes par le procureur général de l'État au sujet de 5500 exécutions extrajudiciaires présumément commises entre 2000 et 2005. Sixto, boulanger de son état, croisé dans un café du quartier pauvre de Petare, à l'ouest de la capitale, n'en a cure: «Ce que Chávez fait pour nous, c'est incroyable. Jamais un président n'en a fait autant.»

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