L'automne des patriarches

Castro et Pinochet: deux dictateurs à leur dernière heure... L'annonce, ce week-end, d'une crise cardiaque de l'ancien tortionnaire en chef du Chili, Augusto Pinochet, ne semble pas — pas cette fois — être une information «gonflée» qui aurait uniquement pour but de détourner l'attention ou de desserrer, sous de faux prétextes médicaux, l'étau de la justice. À 91 ans, le «Vieux» semble vraiment arrivé au bout du rouleau: il l'aurait lui-même déclaré à ses médecins...

Certains se désoleront que le tombeur de Salvador Allende n'ait pas payé plus cher pour ses crimes, et qu'il puisse aller tranquillement à la mort dans la chaleur de son foyer...

Mais Pinochet aura tout de même passé, à la fin des années 90, quelques centaines de jours en résidence surveillée... De son vivant, il aura tout de même connu l'ignominie et l'opprobre mondial... Et puis, il aura assisté au réveil des Chiliens, sous les coups de boutoir de quelques juges courageux, et d'une société qui commence à perdre ses inhibitions pour exercer son «devoir de mémoire»...

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On n'en est pas là, pas encore, à Cuba, où tout un peuple craint — et espère en même temps — la disparition de cet autre caudillo du siècle dernier: Fidel Castro. Fidel qui ne s'est pas montré, ce week-end, aux festivités de La Havane censées célébrer (avec trois mois de retard) ses 80 ans.

Mais à Cuba également, les langues commencent à se délier, et au hasard d'une conversation furtive dans La Havane (comme cela m'est arrivé en 2004), ou d'un reportage lu dans El Pais ou The New York Times, des réflexions inattendues se rendent à vous, comme par exemple: «Ce n'est pas que j'aie une mauvaise opinion de lui, mais nous vivons ici comme dans une prison» ou encore: «Quand il ne sera plus là, enfin, enfin, ça va changer!»

À petits pas, et d'une façon officieuse, Cuba entrouvre la porte de «l'après-Castro»... Le frère Raul, mais aussi les Carlos Lage et Ricardo Alarcon, qui aimeraient bien ramasser, tel quel, le pouvoir des mains du vieil autocrate agonisant, ont déjà commencé à reconnaître publiquement l'inévitable. La teneur exacte de la maladie du chef reste un secret d'État. Mais on sait qu'elle est grave, et qu'il s'agit sans doute de l'affaire de quelques mois.

La tentative du pouvoir actuel à La Havane, c'est en quelque sorte de «faire de l'après-Castro»... avec Castro toujours vivant! Histoire de tester le terrain. Pour anesthésier la population. Pour que rien ne change. Pour perpétuer la dictature du parti unique et de l'armée. Et donc pour réduire, au minimum, le choc de la disparition lorsqu'elle surviendra.

Un choc qui de toute manière, et malgré toutes les précautions qu'on pourra prendre, n'en sera pas moins immense, avec des conséquences qui pourraient faire capoter tous ces beaux plans «conservateurs»...

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Vers une nouvelle guerre civile au Liban? L'hypothèse n'est pas absurde. Tous les ingrédients sont là: un passé violent; une paix de quinze ans qui ne fut en réalité qu'une longue trêve, des communautés hostiles, souvent armées, à mille lieues d'un compromis... Et en plus: des communautés qui, dans leur affrontement local, reproduisent la grande ligne de fracture à l'oeuvre dans le monde contemporain, à l'échelle régionale, si ce n'est à l'échelle globale.

Le Liban: malheureux microcosme des haines, incompréhensions et rivalités qui déchirent une bonne partie du monde.

Irak, Palestine, Liban... Trois pays que guette ou que déchire déjà la guerre civile. Trois endroits qui ont souffert, ces dernières années, de violentes interventions étrangères sur leur territoire. Mais aussi, trois sociétés qui ont également leurs démons intérieurs, et qui ne peuvent pas repousser sur le reste du monde 100 % des responsabilités pour tous ces malheurs. Trois pays où, peut-être, il reste encore des choses à sauver, de l'intérieur.

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Test réussi pour le pape en Turquie... un voyage qui a bénéficié d'une couverture exceptionnelle dans nos médias. Tournée «pastorale» sans doute, avec notamment cette question de l'unité des chrétiens, mais également voyage politique... Où l'on a découvert un Benoît XVI fin diplomate, là où l'on ne se souvenait que du cardinal Ratzinger et de ses certitudes assenées sans ménagement.

Il paraît qu'au Vatican, on a été très ébranlé par les conséquences démesurées (plusieurs chrétiens tués en guise de représailles) de la «polémique» de Ratisbonne, lorsque le pape, en septembre dernier, avait cité un empereur byzantin du XVe siècle qui faisait le lien entre islam et violence.

Benoît XVI n'a sûrement pas troqué ses certitudes et ses convictions profondes, mais il sait mieux les apprêter ou les taire lorsqu'il le faut. Et la saisissante image du souverain pontife recueilli dans la Mosquée Bleue d'Istanboul aura peut-être — qui sait? — fait baisser d'un demi-cran la tension, l'angoissante tension de notre époque entre Occident et monde musulman.

François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.

francobrousso@hotmail.com

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