À 65 ans, ne vous compliquez pas trop la vie

Je suis un nouveau membre de votre classe — mieux vaut tard que jamais! —, mais je vous lis dans Le Devoir depuis longtemps. Je vous félicite pour la véritable oeuvre sociale que vous dirigez admirablement à vous seul, et pour la qualité linguistique et logique de votre prose: au Canada français, ce n'est pas banal, c'est un vieil universitaire amoureux de sa langue et de son pays qui se permet de le souligner, un peu prétentieusement d'ailleurs.

Je n'ai aucune expérience de l'immobilier mais je veux commencer à y investir un peu. J'ai lu vos pages et articles pertinents et le livre de Don Campbell (fondateur du Real Estate Investment Network): Real Estate Investment in Canada. J'ai la possibilité d'acheter, à Red Deer, en Alberta (territoire immobilier chaudement recommandé par lui et d'autres), une maison en rangée pour 178 000 $, avec 45 000 $ de comptant. La paperasse, la gestion, l'entretien, etc., tout serait fait par mon contact, une personne que je pense moralement au-dessus de tout soupçon (mais que je connais depuis un an seulement) et son associé, courtier en hypothèques et investisseur immobilier (que je ne connais pas), ce que je souhaite pour le moment. (Je ne veux pas m'occuper d'un petit immeuble, j'ai un petit dictionnaire à finir et je ne bricole pas). L'ensemble se paierait tout seul, en quatre ou cinq ans (avec possibilité de retrait sans pénalité en tout temps, au prix du marché), mais sans rapport mensuel de plus de quelques dollars cependant, et serait alors revendu. La plus-value — les promoteurs en sont sûrs sans pouvoir la chiffrer — serait partagée moitié-moitié entre mon contact, gestionnaire des maisons, et moi, après remboursement de la mise de fonds. Je ne prévois pas avoir besoin de l'argent avant cinq ans.

J'ai 65 ans et suis à la retraite depuis cinq ans (revenu annuel brut de 50 000 à 60 000 $ selon les années). Ma femme, enseignante d'origine française, gagne 85 000 $ et prendra sa retraite dans deux ans, à 55 ans, avec une rente brute de 45 000 $ pendant cinq ans, de 50 000 $ à 60 ans, etc. Ensemble nous disposerons (rentes et revenus de placement) d'un revenu annuel net minimal de 75 000 à 80 000 $ à la retraite, sans compter la possibilité de travailler à temps partiel pour nous deux. Nous avons maintenant un patrimoine d'environ 900 000 $ avant impôt: petite maison payée (150 000 $), à Gatineau, appartement loué (550 euros bruts par mois) et terrain en France (total: environ 200 000 $), le reste en placements REER (360 000 $) et hors REER (300 000 $, dont un solde de 180 000 $ d'emprunt-levier qui nous a rapporté de 70 000 à 75 000 $ sur 185 k en cinq ans), placé au G Investors en FCP, situation que je veux changer tout en faisant mon éducation financière sous votre direction magistrale. Je paierais les 45 000 $ à même les profits de l'emprunt-levier. Que pensez-vous de cette offre? Si j'y renonçais maintenant, il pourrait y en avoir d'autres un jour, du même type, en Alberta, avec les mêmes personnes.

Je vous remercie d'avance pour vos conseils. (Je m'excuse pour le caractère un peu brouillon de ce texte improvisé.)

P. C.

Gatineau

De grâce, ne compliquez pas la gestion de votre avoir, surtout à 65 ans. Bien sûr, l'Alberta est le coin chaud de notre pays. Avec plus de 100 milliards de dollars en projets dans ses sables bitumineux, certainement que son secteur immobilier est en pleine ébullition.

Tout semble parfait pour gagner vite du pognon: une croissance économique régionale explosive; un ami d'un an à peine, à toute épreuve; son associé expérimenté dont vous ne voulez même pas entendre parler; un immeuble dont vous ne désirez même pas vous occuper mais qui va s'apprécier...

Voilà autant de considérations qui me laissent dire que ce placement, peu importe son potentiel, n'est pas pour vous. D'abord parce que, vivant à Gatineau, vous êtes bien loin de votre profit. Pour le moment, le ciel du monde du placement est bleu azur. Mais qu'adviendra-t-il si le temps tourne à l'orage? Si, par exemple, le prix du baril de pétrole brut dégringole à 30 $US le baril? Si votre ami et son associé filent un jour en douce? Si les propriétés sont mal gérées? Etc.

Selon moi, lorsque vous investissez dans un immeuble, vous avez intérêt à ne pas être trop loin de votre profit, et non à des heures de vol de celui-ci (à moins d'appartenir à une grande firme de gestion immobilière).

Vous savez, l'exploitation des sables bitumineux comporte sa part de risque. Les coûts d'exploitation sont élevés. Les défis sur le plan environnemental (un volet plutôt sensible aujourd'hui) sont énormes (sources d'eau taries, épuisement rapide des réserves de gaz naturel de la région, émission de gaz à effet de serre). Les coûts d'exploitation explosent littéralement et pourraient devenir hors de contrôle. Et il y a les aléas du marché financier tributaire des cycles économiques.

Avez-vous vraiment besoin, à 65 ans, de vous doter d'un tel placement, non liquide de surcroît? Je ne le crois pas. D'autant plus que vous possédez déjà des propriétés immobilières (à Gatineau et en France) pour une valeur de 350 000 $.

Deux choses sont à faire en priorité dans votre cas. Construire votre portefeuille de valeurs mobilières REER et hors REER et rembourser votre emprunt de 180 000 $ (et non créer une dette additionnelle de 133 000 $ en achetant la maison de ville).

À la retraite, point de dette il ne doit y avoir. La raison: il faut pouvoir parer à d'éventuelles périodes difficiles. Vous savez, ma génération (plus jeune que la vôtre) est tout de même passée à travers deux grandes récessions, celle de 1981-82 (à l'origine de la fournée des travailleurs autonomes) et celle de 1990-91 (celle de la débâcle immobilière; il aura fallu presque huit ans au marché immobilier canadien pour s'en remettre).

Votre avoir après impôt totalise près de 830 000 $. Cela ne tient pas compte de la valeur actuelle après impôt de vos régimes de retraite respectifs, qui totalise près de 680 000 $. Autrement dit, votre avoir global après impôt s'élève à près de 1,5 million de dollars. Un tel avoir vous assure un revenu bien supérieur à celui requis, de 2,5 fois votre seuil de pauvreté pour prétendre à une retraite aisée.

Reste donc à obtenir de vos placements des revenus réguliers. Comme vos rentes de qualité peuvent tenir lieu de titres à revenus fixes de qualité, vos portefeuilles REER et hors REER (ce dernier totalisera 120 000 $ une fois remboursé votre emprunt de 180 000 $) pourront se composer à hauteur de 70 % environ d'actions de grandes compagnies canadiennes et de quelques grandes compagnies américaines montrant un solide historique de versements de dividendes élevés et croissants. Vous choisirez huit compagnies vous permettant de participer à quatre, voire cinq secteurs clés de notre économie.

Parmi ces secteurs, l'énergie en est un dont les entreprises, si elles sont bien choisies, vous permettront de participer de plein fouet à l'effervescence de l'économie albertaine, et ce, tout aussi bien qu'une propriété située dans la région.

Pour le reste, profitez du temps précieux de votre retraite pour voyager, terminer votre dictionnaire et profitez de la nature et d'une vie sociale intense tout en accordant environ une heure et demie par semaine au suivi de vos placements. Chose facile à faire même en voyage grâce à Internet.

cchiasson@proplacement.qc.ca

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