Didymo, le nouvel envahisseur de nos cours d'eau
Il s'appelle «didymo» et mobilise beaucoup d'attention depuis quelque temps. Un rapide coup de sonde dans mon entourage démontre que, malgré sa notoriété internationale, on le connaît peu ici. Interrogés au hasard, certains m'ont dit que c'était sans doute le nom d'un nouvel ourson-cadeau lancé pour le temps des Fêtes, voire la nouvelle mascotte du congrès du PLC en fin de semaine! Les plus prudents ont évoqué un nouvelle molécule OGM ou le dernier VUS de General Motors en raison du rapprochement de son nom avec le mot «dynamo». Et j'en passe...
C'est, plus prosaïquement et malheureusement, un nouveau parasite de nos cours d'eau, identifié cet été dans deux rivières à saumons de la Gaspésie, la Matapédia et la Ristigouche, y suscitant inquiétude et mobilisation. Didymosphenia geminata, ou «didymo», est une algue unicellulaire de la famille des diatomées, qu'on retrouve un peu partout dans l'hémisphère nord. Il s'est particulièrement répandu dans l'Ouest canadien et américain avec des incursions plus au sud, des deux côtés des Rocheuses, selon les cartes de distribution de l'Environmental Protection Agency (EPA).Selon cette agence américaine, c'est une algue qu'on considérait rare et belle et qu'on ne trouvait que dans les eaux cristallines des lacs et rivières des régions nordiques. Mais depuis quelques années, didymo élargit son aire et est de plus en plus considérée comme une espèce invasive. Elle a même fait son apparition en 2004 en Nouvelle-Zélande, un paradis international de la pêche à la truite. En moins de deux ans, elle a infesté une douzaine de rivières de haute réputation.
Contrairement aux algues bleu vert du sud du Québec, didymo ne profite pas de la pollution et des excès de phosphore attribuables à l'activité agricole, aux rejets des villes et aux activités récréatives consommatrices d'engrais, notamment les terrains de golf. Et, contrairement aux colonies de cyanobactéries des lacs et rivières du Québec méridional, elle ne vit pas en suspension dans l'eau mais s'accroche aux roches, aux cailloux et aux branches, où elle développe de vastes colonies. Le résultat est désastreux pour l'apparence du cours d'eau, dont le fond se couvre d'une sorte de grosse crème brune alors que les branches semblent couvertes de débris de papier hygiénique. On a vu des colonies couvrir en quelques semaines des cours d'eau sur des kilomètres. La durée de ces colonies va de quelques semaines à une année entière.
La prolifération de cette algue a plusieurs conséquences environnementales et économiques, selon la littérature scientifique. Mais elle n'est pas toxique pour les humains, comme les cyanobactéries, répertoriées cet été dans 78 cours d'eau du Québec, selon le bilan divulgué cette semaine par le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP). On rapporte tout au plus des irritations des yeux chez des baigneurs qui avaient surmonté le dégoût suscité par la texture de cette algue qui s'agglutine pour former des filaments. Ceux qui l'ont touchée disent qu'on a l'impression de toucher un écheveau de laine mouillée qui aurait la rugosité du coton.
Mais en couvrant, voire en colmatant le fond de l'eau, didymo étouffe une bonne partie de la reproduction des autres larves d'insectes qui forment la nourriture de base des salmonidés. En Nouvelle-Zélande, des mesures empiriques destinées à mesurer l'impact de cette espèce invasive ont permis de constater une diminution radicale de la nourriture, déjà peu abondante dans les cours d'eau oligotropes, c'est-à-dire peu riches en nutriments. L'impact est dès lors considérable sur le cheptel de salmonidés, qui voient ainsi leur «table» alimentaire diminuer rapidement. Les populations humaines des régions éloignées, qui dépendent souvent de la réputation et de la fréquentation des rivières à truites ou à saumons, perdent ainsi une clientèle qui reflue devant didymo et se dirige vers de nouvelles destinations, ajoutant à la pression de pêche de cours d'eau déjà souvent surexploités ou près de l'être.
En plus de priver de retombées économiques considérables ceux qui exploitent les ressources renouvelables de la pêche sportive, didymo s'en prend aussi aux prises d'eau des résidences, des municipalités et des entreprises, qu'elle peut dans certains cas bloquer littéralement.
Didymo voyage généralement en première classe car cet unicellulaire passe souvent d'un cours d'eau à l'autre dans les équipements de pêche des riches sportifs capables de s'offrir les destinations les plus folles et les plus chères pour obtenir la prise rêvée. Les feutres antidérapants des cuissardes de pêche, les soies et les moulinets, les canots, kayaks, avirons, habits de plongée, etc., sont des vecteurs privilégiés. En Nouvelle-Zélande, plusieurs pourvoyeurs exigent une décontamination préalable de tous les équipements de pêche dans des bassins permanents. Les fédérations sportives multiplient les guides de décontamination à l'usage de leurs membres compte tenu des caractères particuliers de l'équipement et des habitudes propres à chaque discipline sportive. Sur le site Internet de la fédération des kayakistes de Nouvelle-Zélande, on dit qu'une forte concentration de savon fort, de préférence biologique, une solide éponge et de bons bras permettent d'obtenir des résultats appréciables. Mais on parle de concentrations de savon équivalant à deux tasses pour dix litres d'eau! Il faut aussi laisser le savon agir pendant plusieurs minutes, rincer ailleurs que dans un cours d'eau (évidemment!) et laisser sécher à fond son équipement au moins 48 heures avant de le réutiliser! On est loin de ça au Québec, même pour contrôler les moules zébrées, tout aussi dangereuses.
Les zecs et pourvoiries à saumons de la Gaspésie se concertent actuellement avec les associations sportives pour mettre en place dès la prochaine saison un dispositif de sécurité afin d'empêcher didymo de passer de la Matapédia à d'autres bassins versants. Il serait assez improbable que didymo puisse utiliser la baie des Chaleurs pour atteindre la Bonaventure car elle déteste l'eau salée, au point où on peut l'utiliser comme agent stérilisateur. Mais les oiseaux migrateurs, en passant d'un cours d'eau à l'autre, peuvent eux aussi agrandir rapidement l'aire de didymo... C'est ce qui s'est peut-être passé l'été dernier, car l'algue indésirable s'est aussi pointée dans une rivière du Nouveau-Brunswick, pas loin de la Matapédia.
On n'a pas noté la présence de cette espèce invasive dans le sud du Québec, mais rien ne dit que didymo ne pourrait pas s'y reproduire et ajouter aux nombreux stress écologiques de nos cours d'eau.
Toutefois, pour parler franchement, les corps et agents publics québécois ne semblent pas accorder une grande importance à la nécessité de stériliser les embarcations et le matériel nautique avant de les mettre à l'eau. Quiconque navigue sur le fleuve peut déjà infester d'autres cours d'eau avec des larves de moules zébrées, par exemple. Compte tenu du fait que les contaminations biologiques sont quasi irréversibles ou réversibles à grands frais avec des techniques comme la roténone, les amendes qu'on devrait imposer aux contrevenants de ces méfaits devraient refléter le coût de ces négligences pour la société et les générations futures. Des amendes équivalentes à trois ou quatre fois le montant des amendes les plus lourdes qu'on impose aux braconniers devraient être la règle pour les contaminations biologiques (moules zébrées, ménés ou didymo, notamment) car le fait de tuer un orignal illégalement n'a pas, et de loin, les impacts cumulatifs sur cinq générations humaines de l'incurie manifestée par un inconscient ou, pire, un irresponsable qui ruine une rivière à saumons ou un lac pour toujours.
n Lecture: Regards sur la Terre 2007, un dossier «Énergie et changements climatiques» constitué sous la direction de Pierre Jacquet et Laurence Tubiana, Sciences Po Les Presses. Ce livre n'est pas une somme philosophique ou scientifique sur le dossier climatique. Il s'agit plutôt d'une réflexion sur des dizaines d'aspects ou de volets du dossier des changements climatiques qui ont marqué la dernière année. L'intérêt de cet ouvrage collectif, c'est la signification que chaque auteur essaie de tirer des événements, découvertes ou attitudes politiques, etc. On y trouve aussi un bloc informatif très à jour sur l'évolution du phénomène. Il s'agit du premier opus d'une série qu'on veut annuelle. Fort intéressant.