Jésus-Christ superstar?

Mel Gibson a relevé tout un pari en 2004 avec La Passion du Christ. Refusé par tous les grands studios, produit à compte d'auteur, en araméen avec sous-titres, le film a connu, contre toute attente, un triomphe planétaire. Lequel était en partie lié, dit-on, à la promotion gratuite qu'en ont faite les membres influents de l'Église catholique.

Il reste que dans les milieux professionnels du cinéma, La Passion a «ouvert un marché», à peu près tari depuis François et le chemin du soleil (de Franco Zeffirelli, en 1972), pour un cinéma populaire à thématique religieuse. Depuis, aux États-Unis, certains studios y songent, d'autres ont emboîté le pas. C'est le cas de New Line, qui sort aujourd'hui La Nativité (The Nativity Story) sur des dizaines de milliers d'écrans partout dans le monde après que sa première mondiale au Vatican lui eut valu le sceau papal. Comme La Passion, ce drame biblique inégal fait l'objet de campagnes auprès des associations religieuses, des écoles et des pastorales. Comme La Passion, La Nativité propose une lecture conservatrice des évangiles. Mais à l'inverse de La Passion, La Nativité raconte une histoire relativement peu controversée, celle des circonstances entourant la naissance du Christ, avec, en intro et en extro (le film est raconté à la manière d'un long flash-back), une représentation sobre du massacre des Saints Innocents.

Le bigot Gibson, eût-il touché à ce projet, en aurait fait le centre de son film. C'est du moins la conclusion à laquelle j'en suis venu mercredi soir en voyant Apocalypto, son sanglant nouveau film, qui prend l'affiche la semaine prochaine (l'embargo critique m'empêche de vous dire aujourd'hui tout le mal que je pense de cet imbécile spectacle gore mâtiné de Cirque du Soleil racontant la fin de la civilisation maya).

D'ici deux semaines, deux tableaux flous devraient s'éclaircir. De fait:

- La Nativité va nous apprendre si La Passion du Christ était véritablement annonciateur d'un intérêt renouvelé pour le cinéma à thématique religieuse ou simplement, et plus vraisemblablement, un succès de scandale;

- parallèlement, Apocalypto va nous dire lequel, du Christ ou de Gibson, a véritablement la cote auprès des spectateurs.

Un «gars des vues» aurait voulu coordonner la sortie de La Nativité avec le retour au cinéma de Mel Gibson qu'il ne s'y serait pas mieux pris. Étonnamment, Apocalypto (qui devait sortir à l'été) donne l'impression que Gibson est passé à autre chose, bien que les regards au ciel de ses héros implorant la clémence de leurs bourreaux illustrent bien son enthousiasme pour la colère divine. Parallèlement, la sortie en DVD de Da Vinci Code, la semaine dernière, nous rappelle que le succès du film de Ron Howard, en deçà des attentes, est sans doute attribuable au fait que Sony a voulu éviter la controverse avec un film consensuel et mou plutôt que d'y faire face avec un film provocant et fou.

La sortie de La Nativité sera suivie, à la fin du mois, d'une autre histoire de nativité, celle de Children Of Men. Brillant et provocant là où le film de Catherine Hardwicke est tout juste élégant et servile, ce thriller d'anticipation signé Alfonso Cuaron (Y tu mamá también) nous transporte dans un futur immédiat (2027) où notre civilisation stérile, qui n'a pas donné d'enfants depuis près de 20 ans, assiste lentement à sa propre extinction. Arrive une jeune femme, enceinte jusqu'aux yeux, qu'un agent du gouvernement débauché par un groupe de terroristes (Clive Owen) doit conduire en lieu sûr. Le futur comme répétition du passé? Au cinéma comme dans la vie, tout est possible.

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À une question sur l'influence de l'Église sur son pays (posée par mon confrère Matthew Hayes, du Mirror), Pedro Almodóvar, rencontré au dernier Festival international du film de Toronto, répondait ceci: «En Espagne, l'Église est la seule institution qui n'a pas évolué depuis 50 ans. C'est, par le fait même, la seule institution qui ne vit pas en conformité avec la réalité espagnole contemporaine. Au contraire, elle a adopté le comportement d'un parti politique d'extrême droite.» La suite de notre entretien paraîtra dans Le Devoir de demain.

Collaborateur du Devoir

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