Onvousauraprévenus.ca

Je regardais distraitement la pub durant Sophie Paquin. J'ai tout de suite été alarmée par le ton calme qui tranchait avec l'hystérie habituelle: «Êtes-vous préparés en cas d'urgence? Avez-vous ce qu'il faut pour subvenir aux besoins de votre famille durant 72 heures? Visitez notre site preparez-vous.ca et préparez-vous maintenant.» Le message diffusé à une heure de grande écoute à Radio-Canada est payé par la SPPCC, le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada. Je suis allée visiter le site et je n'ai pas dormi de la nuit.
Panique.ca, angoisse.com, toutestperduencebasmonde.nation.ca. Triste constat: je suis prête pour Noël mais pas pour un iceberg sur mon balcon ni un blizzard dans mon salon. Nullement. Même ma lampe de poche est à plat, fiston s'en est chargé. Quant aux réserves d'eau, de cash ou de piles, on n'en parle même pas. Négligente, je suis. Coupable de non-assistance à personne en danger.
J'ai appelé la SPPCC (1 800 O-CANADA) et parlé à un représentant chargé de calmer les médias une fois la population ameutée.
- «Il y a une quarantaine de noms de groupes terroristes sur votre site, de al-Jihad aux Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul. Est-ce qu'on devrait s'inquiéter? Savez-vous des choses que nous ignorons?», ai-je demandé en sachant que mes questions n'étaient pas dignes de me valoir un prix Judith-Jasmin.
- «Non, madame, il n'y a pas de raison de paniquer. Mais tout peut arriver: des catastrophes naturelles, des accidents industriels, des virus informatiques, des actes terroristes. Ça dépend où vous habitez. C'est grand, le Canada!»
Euh, j'habite où, déjà? Ah oui, une nation. Mais une nation qui ne veut pas se séparer. C'est inquiétant quand on sait ce que les États-Unis on fait de La Nouvelle-Orléans.
J'imagine qu'il ne faudra pas trop compter sur le ROC. J'envisage tout: tempête de verglas, éruption volcanique ou fièvre aphteuse saupoudrée de grippe aviaire. Même les entreprises funéraires ont un plan d'urgence!
Et le vôtre consiste à vous mettre les doigts dans le nez en attendant que Médecins sans frontières vous fasse parvenir une brosse à dents par Purolator dans un gymnase malodorant? Shame on you!
La fin du monde est à 7h
Citoyenne exemplaire (en quatre copies, si vous voulez), j'ai imprimé la liste de la trousse d'urgence de preparez-vous.ca et suis partie à la conquête de Canadian Tire. J'en suis à plus de 350 $ de dépenses et je n'ai pas terminé.
Tandis que vous arpentez les allées à la recherche des lumières extérieures de Noël les plus seyantes pour votre bungalow, j'achète du matériel de camping dont je n'ai aucune intention de me servir.
Je me prépare méticuleusement à un voyage que je ne veux pas faire. Je rassemble un assortiment d'artéfacts qui fera sourciller les anthropologues chargés de nous étudier après la fin du monde. Le «mandaté-pour-calmer-les-foules» de 1 800 O-CANADA a été formel: nous vivons en plein déni et comptons sur les policiers, les pompiers et les hôpitaux pour nous sortir du pétrin.
Nos arrière-grands-parents étaient plus autonomes et plus responsables que nous: ils avaient un puits, un poêle à bois, un caveau, du lard salé, un bas de laine et un harmonica.
Préparer sa valise à roulettes d'urgence est tout un art, un proche parent de l'exercice de feu, qui en dit bien plus sur vous que le foutoir de votre table de chevet.
Après avoir acheté une radio à manivelle munie d'une sirène d'urgence, un poêle de camping, une lanterne à piles et une trousse de premiers soins, j'ai hésité entre le sifflet et la lampe frontale.
J'ai pris les deux, même si la frontale décoiffe un brin. Et j'ai fait provision de sachets thermiques (pour se réchauffer les mains) en passant à La Cordée. J'ai même laissé une petite annonce sur le babillard: «Cherche gars de plein air, bien équipé, pour chaleur humaine et plus, si affinités.» Les gars de bois et de chasse sont toujours prêts, comme les scouts.
Côté hygiène, je me suis munie de papier de toilette de camping (plus compact), de Purell, de lingettes humides, de Rescue (fleurs de Bach pour calmer les nerfs), de condoms (le sexe citoyen, ça consiste à ne pas multiplier ses problèmes) et d'antisudorifique.
J'ai rassemblé un pot de beurre d'arachides, des barres énergétiques, du chocolat 76 % et au lait, du thé anglais en sachets (need a cuppa, my dear?), deux lampes de poche supplémentaires, pêle-mêle. J'ai pensé aux gants de coton pour la grosse ouvrage (tasser des cadavres sur mon chemin) et aux mitaines sans doigts pour les travaux d'aiguille.
Je suis passée par la banque chercher de l'argent que j'ai caché dans un portefeuille résistant aux tsunamis, avec les allumettes, les bougies et les 25 ¢ pour le téléphone payant. J'ai planqué 12 litres d'eau près du sèche-linge (deux litres par jour par personne, pas une goutte de plus) et je me suis rendu compte que tout ça manquait vachement de superflu.
Détresse psychologique
Parce que nous sommes humains, donc pas toujours logiques, parce que je me suis rappelé Tom Hanks et son ballon de basket dans Seul au monde, j'ai aussi pensé à un petit chien en peluche pour mon B., au livre La Petite Bibliothèque imaginaire (Éditions Rue du monde), qui contient une vingtaine d'amorces d'histoires que vous complétez à votre gré.
J'ai aussi ajouté deux livres de poche: les Pensées de l'empereur Marc Aurèle, un sage qui régnait un peu après J.-C. et vivait sûrement dans la simplicité volontaire sans le savoir, et 1, 2, 3... bonheur! Le bonheur en littérature. On y trouve des extraits de textes qui parlent du... eh oui!
J'ai joint un petit cahier pour écrire, un crayon à mine de plomb (la seule qui résiste à l'eau), un cahier de chant T-9 hérité de mon père, son couteau de chasse en corne de chevreuil pour me défendre.
Ah oui! Et un p'tit mickey de brandy parce que j'ai vu Cate Blanchett se faire «réparer» par un vétérinaire berbère dans le film Babel et que ma pipe d'opium achetée au Cambodge est vraiment trop encombrante. Une amputation est si vite arrivée.
Malgré tout, je pressens au fond de moi qu'on a beau être prête à tout, il nous arrive toujours autre chose. La vie est une suite d'aventures palpitantes. Piles non comprises.
cherejoblo@ledevoir.com
Répondu: par un sourire niais au «Vous partez en voyage! Chanceuse!» de la caissière à la pharmacie. Que dire, sinon se taire?
Parlé: avec Denis Archambault, un prof du département des sciences biologiques de l'UQAM qui s'intéresse aux infections transmissibles de l'animal à l'humain. Il s'inquiète davantage d'une catastrophe écologique que d'une pandémie, pour l'instant. Lavez-vous les mains en attendant la grippe aviaire et consultez www.pandemiequebec.ca pour les derniers développements. On prévoit que 35 % de la population de notre jeune nation pourrait être touchée par cette grippe.
Lu: la couverture du livre Agir face aux crises - Katrina, grippe aviaire, tsunami (Plon). Juste ça, c'est suffisant. Je l'apporte dans mon trousseau.
Acheté: Women Who Worry Too Much - How To Stop Worry & Anxiety From Ruining Relationships, Work & Fun, de Holly Hazlett-Stevens. Les femmes sont reconnues pour prévoir et être anxieuses. Prévoyantes ou paranos? Notre imagination fait le reste. Un livre qui permet de confronter l'anxiété et chacune de ses peurs, une à une. L'inquiétude, l'insomnie et se ronger les ongles ne règlent rien. Vivre l'instant présent, si. Je l'apporte aussi.
Adoré: le film Stranger Than Fiction avec Emma Thompson, Dustin Hoffman et Will Ferrell. Morale de l'histoire? Si votre destin est déjà écrit quelque part, vaut mieux que ce soit par un grand écrivain.
Quitté: la projection du film Babel pour cause de violence excessive. Je ne sais pas comment vous faites pour soutenir ce climat angoissant d'hyperréalisme joué sur trois continents. Après 90 minutes, j'ai capitulé malgré le destin incertain de Brad et Cate. Namour m'a raconté la fin, et ça se prenait beaucoup mieux à la clarté, avec une pointe de pizza dans une main et un verre de vin dans l'autre. Je ne suis pas faite pour la misère...
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Ceci n'est pas un blogue
911
Si jamais ça merde (et ça merdera, ils l'ont dit), j'ai préparé ma liste perso de numéros d'urgence. Remarquez, je ne connais pas tous les gens qui sont sur ma liste, mais ça n'a aucune importance: la nécessité est la mère du déniaisage.
D'abord, un officier d'infanterie à la retraite: Marcel. Il a fait le Ghana et le Moyen-Orient, il est parachutiste et géographe; il devrait avoir un plan des corridors souterrains de la ville de Montréal, sinon une vague idée de comment s'en sortir par les égouts. Se sortir de quoi? C'est la question à mille balles plus les intérêts payables en quatre versements différés après le krach boursier. Marcel sait aussi manier carabines, mitrailleuses, bazookas, canons antichar, mortiers, grenades, mitraillettes, pistolets et missiles. Je vous gage ma dernière bouteille d'alcool frelaté qu'il possède une lampe de poche. Je ne le connais que par écrit mais je le reconnaîtrais dans le noir. Sir, yes sir!
Ensuite, Clo. Si Montréal est plongé dans le noir, la Gaspésie brillera toujours un peu. Elle est un phare pour la nation. Et elle n'a pas besoin de Stephen Harper pour savoir si elle est un phare ou une nation. Clo organise tout le monde dans son pays et organise aussi la Grande Traversée de la Gaspésie en ski de fond depuis cinq ans. Prévoyante, elle a toujours des Kleenex et du gorp (un mélange de graines énergétiques) dans ses poches. Quoi? Vous n'avez pas de gorp sur vous? Misère! Et ça veut se faire des amis dans le noir...
Bien sûr, le père Lacroix, chez les Dominicains. Ils ont des lampions en masse, des réserves de prières et d'eau bénite. Parfois, il faut savoir se contenter d'amour et d'eau fraîche.
En terminant, le gérant de la SAQ sur la rue Beaubien. Je ne connais même pas son nom, c'est vous dire comme je ne fais pas partie des clients privilégiés. Si vous songez à vous faire des amis chez Jean Coutu, je préfère mes tranquillisants sous forme liquide.
Rue Beaubien, ils sont fins, renseignés, pas pédants, serviables et drôles! Toujours utile, le sens de l'humour en état d'urgence. J'ai décrété que cette succursale serait mon abri antiatomique. On commence par tout ce qui fait pof, puis par tout ce qui rend paf. Ensuite, on établit un plan d'action quinquennal. Les fonctionnaires savent y faire.
www.chatelaine.com/joblo