Et puis euh - Tout fout le camp
Les traditions se perdent, messieurs dames, que c'en est d'une tristesse infinie. Prenons par exemple la joute de mardi soir de votre Canadien contre la Florida. Zéro à zéro après le temps réglementaire. Tout un spectacle, même si l'amateur moyen songe spontanément qu'un match nul est par définition ennuyeux, et a fortiori un 0-0, cela même si un score final de 0-0 correspond à un match parfait puisque tout but résulte nécessairement d'une erreur de quelqu'un quelque part, et cela, même si le plus grand match de toute l'histoire du hockey, le plus spectaculaire, se solda par un verdict de 3-3 entre votre Canadien et l'Armée rouge le 31 décembre 1975. (C'était à la belle époque où il y avait juste deux équipes.)
Mais comme l'amateur moyen est une bête de divertissement qui veut un gagnant et un perdant à la fin de sa partie, fût-ce au terme d'un concours de lancers de punition qui n'ont rien à voir, sinon il se sent incomplet, la Nationale Hockey Ligue a instauré la prolongation et le barrage. Avec, en prime, un règlement idiot qui donne deux points au gagnant et un point au perdant. Or, ce que cela veut dire, messieurs dames, c'est qu'une rencontre comme celle de mardi soir entre le Canadien et la Florida a conféré deux points à votre Canadien et un à leur Florida. On sort notre calculette au laser liquide, on fait de l'arithmétique de pointe et paf, qu'est-ce qu'on obtient? Exact: un total de trois points.L'amateur moyen est donc reparti chez lui, ou a éteint son poste de télé, avec une grande satisfaction dans son coeur, car sa Flanellette l'avait emporté et il avait vu de la fusillade. Or qui dit fusillade dit match de trois points, le maximum possible dans les circonstances. Ce qui signifie, messieurs dames, et attention ça va donner un grand coup, qu'il n'y a plus de matchs de quatre points, comme dans le bon vieux temps des matchs typiques de la division Adams.
Bref, en matière de hockey à intensité, on a reculé. C'est très grave.
Cela étant, mardi soir, on a eu droit à tout un spectacle. À telle enseigne que l'excellent quotidien Métro, une référence incontournable en matière d'information fouillée et d'analyse pénétrante, a titré hier: «Le Canadien remporte une guerre de tranchés.» Ce qui nous amène à cet extrait d'un dialogue platonicien inédit que j'ai découvert dans une librairie usagée pas plus tard que l'autre jour (en fait, ce n'est pas la librairie qui est usagée mais le livre; mais ce livre n'est pas celui dans lequel on retrouve le dialogue car il est inédit (ce n'est pas le livre qui est inédit mais le dialogue)):
- T'as vu ça, hier, le Canadien a remporté une guerre de tranchés.
- Une guerre de tranchés... ? Dans le sens de: les buts de Kovalev et Koivu ont permis de trancher le débat en tirs de barrage?
- Non. Ça signifie que c'était un pain bon match.
Je vous remercie de votre attention soutenue.
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Mardi, ici même dans cet espace, on apprenait toutes sortes d'affaires grâce au sport et on se laissait, tout en promettant de demeurer amis, sur une promesse d'apprendre aussi ce qui se passe du côté de la Gagaouzie.
En fait, la situation est la suivante, racontée il y a quelques jours par Libération. En 2003, des gars de la France, de la Belgique et des Pays-Bas ont eu l'idée d'organiser une Coupe du monde de soccer qui regrouperait uniquement des nations* avec pas de pays, des entités nationales, quoi, qui ne sont pas reconnues par la Fédération internationale de football association bien que celle-ci compte plus de membres que l'ONU (*par «nation», on entend ici un... une... enfin quelque chose qui est une espèce de... je veux dire, un... en tout cas, ça se trouve dans un Canada uni et ça n'engage à rien). Ils ont établi une liste de 89 entités possibles. Parmi celles-ci, le Québec, la Tchétchénie, Åland, le Pays basque, le Kosovo et le Vatican.
L'organisme ainsi créé, le NF-Board, tenait à mettre sur pied une compétition rigoureusement apolitique. Sauf que, on s'en doute un peu, si le monde du sport est merveilleux, le monde tout court, lui, l'est pas mal moins. De sorte que Chypre Nord a obtenu de présenter le tournoi, allant jusqu'à payer les frais de déplacement du Groenland, de Zanzibar, du Tibet, du Tadjikistan, du Kirghizstan (voyez comme l'histoire est confuse, j'aurais juré que ces deux-là étaient des vrais de vrais pays) et de la... Gagaouzie. Mais en même temps, Chypre Nord, qui n'est reconnu que par la Turquie, ne voulait rien savoir d'accueillir le Kurdistan, pour des raisons turques. Alors voilà. Admirez les complications dès qu'on se mêle d'être apolitique.
On a donc déménagé l'événement, baptisé «Viva World Cup», à Hyères, dans le sud de la France, pendant que Chypre Nord maintenait son tournoi. À Hyères, ça se déroulait la semaine dernière, mais seulement quatre équipes ont répondu à l'appel: la Laponie, l'Occitanie, Monaco et le Cameroun du Sud (autre problème, les Sud-Camerounais présents étaient tous des résidants de l'Europe, les ressortissants camerounais n'ayant pu obtenir de visas). Malheureusement, impossible de savoir qui a gagné. Le site du tournoi reste muet à ce sujet, et les heures et les heures et les heures qu'Et puis euh a passées à fouiller le cyberespace se sont toutes avérées vaines jusqu'à maintenant. Chose sûre toutefois, les Lapons étaient les favoris.
Quant à l'absence du Québec, il semblerait, selon des sources, qu'elle ait été imputable au fait que les organisateurs du tournoi n'ont pas trouvé l'adresse de Me Guy Bertrand.
Mais bon, c'était juste pour dire qu'il n'est point aisé de ne pas tenir compte de considérations non apolitiques, ou quelque chose d'assez similaire, même lorsqu'il est seulement question de jouer au ballon. Et que le sport a ceci de séduisant qu'il appelle sans cesse à la découverte, en l'occurrence de l'existence de la Gagaouzie et de toute la difficulté qu'il y a à dénicher sur un clavier l'a suédois avec une petit cercle au-dessus pour faire «Åland».
La prochaine fois, nous verrons que ça irait bien mieux pour toutes les nations du monde si elles avaient la chance d'être dans un Canada uni.
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jdion@ledevoir.com