Forum André-Naud - Promouvoir la liberté de pensée et de parole dans l'Église

Un mouvement vient de se former dans l'Église catholique en vue d'y promouvoir «la liberté de pensée et de parole». Le Forum André-Naud, du nom d'un théologien contestataire, compte déjà une cinquantaine de membres, prêtres et laïcs, résolus à faire entendre une parole «plus libre» et parfois «critique».

À en juger par les documents dont il s'inspire — ceux du concile Vatican II et du théologien québécois André Naud (décédé en 2002) —, le regroupement veut favoriser l'émergence d'une opinion publique dans l'Église, mais aussi inciter les évêques eux-mêmes à retrouver leur propre liberté.

L'initiative fait suite à une lettre ouverte que 19 prêtres adressaient aux évêques du Québec, en février dernier, exprimant leur désaccord avec les positions du Vatican et de l'épiscopat sur l'homosexualité et sur l'accès au sacerdoce. Au même moment, sur ces sujets-là et sur d'autres, les communautés religieuses du pays exprimaient des préoccupations moins fracassantes, peut-être, mais tout aussi pressantes.

Loin d'être reçus favorablement, ces messages, relayés dans les médias, ont suscité au sein de l'épiscopat des réactions froides, sinon un rejet. Peu après, dans une autre lettre diffusée dans le public, une quarantaine de laïcs, reprenant les préoccupations des 19 prêtres et les suggestions des religieux, reprochaient aux évêques de ne pas s'être fait les défenseurs de ces vues lors de leur dernière visite périodique au Saint-Siège.

Pourtant, selon l'évêque de Gatineau, Mgr Roger Ébacher, tant dans le «rapport» qu'ils ont remis à Rome que dans leur message au pape, les évêques ont abordé toutes ces questions. Ils se sont même assurés, dit-il, que les autorités romaines avaient pris connaissance du document des religieux. D'où, chez lui, une réaction quelque peu «perplexe» devant cette contestation parfois radicale.

L'archevêque de Québec, le cardinal Marc Ouellet, tout en encourageant la création de «nouveaux modes de rassemblement», a lui aussi donné l'assurance que les évêques ont été «longuement écoutés par le pape» et qu'eux-mêmes l'ont écouté avec «beaucoup d'attention», sachant, dit-il, que Benoît XVI avait «bien saisi la réalité de notre Église du Québec».

Pour l'évêque de Gatineau, toutefois, même le pape n'aurait pas, semble-t-il, le pouvoir de trancher certaines des questions soulevées. En effet, selon le cardinal Martini, alors évêque de Milan, cité par Mgr Ébacher, on ne peut dénouer ces choses que par le «discernement d'un concile oecuménique». Les évêques, faut-il comprendre, auraient donc encore moins de pouvoir à cet égard.

Le silence des évêques

Le Forum trouvera sans doute dans les documents de Vatican II plus d'un principe théologique permettant de contester la centralisation romaine établie aux dépens des Églises nationales, ou encore le refus du Vatican d'écouter l'expérience et les vues des simples fidèles. Bien avant ce concile, le pape Pie XII n'avait-il pas déclaré, en 1950: «L'Église est un corps vivant et il manquerait quelque chose à sa vie si l'opinion publique lui faisait défaut»?

Toutefois, ce n'est pas dans la doctrine du dernier concile qu'on découvrira les principes investissant les évêques non seulement du pouvoir, mais du devoir de parler. En 2002, le théologien André Naud, ayant noté cette lacune importante, a fait de «l'éthique de la parole épiscopale» une analyse sans complaisance. Pour lui, le contexte ecclésiastique et social a changé depuis l'époque de Vatican II. Des situations nouvelles se posent aux évêques, cependant qu'ils devraient se conformer en toutes choses aux positions, même anachroniques, de Rome.

Le propos est de nature à ébranler la «règle du silence», les «réponses évasives» et les voies du «secret» auxquelles seraient contraints les évêques. Certes, ceux-ci ne veulent pas scandaliser les croyants, écrit Naud, ni embarrasser Rome. Mais il n'est pas normal qu'un seul lieu soit le siège de la réflexion théologique, «avec tous les dangers et les inévitables limites que cela comporte».

Les évêques, pasteurs également chargés d'enseignement, ne sauraient trancher tous les problèmes, reconnaissait le théologien. «Mais n'y a-t-il pas contradiction pour les évêques, écrivait-il, à recevoir une mission magistérielle qu'à toutes fins utiles ils ne peuvent pas exercer vraiment sur tant de points qui intéressent la foi et le comportement chrétien, l'Église du milieu dont ils ont la charge, le concret des jours de tant de croyants?»

Citant le cas de la contraception, Naud remettait en question les réponses évasives ou le mutisme des évêques. Quand on est responsable d'enseignement et qu'on estime qu'une position prise est inappropriée, voire injuste et néfaste, «est-il légitime de se réfugier systématiquement dans le silence?», a écrit le théologien. A-t-on le droit de dire le contraire de sa propre pensée, ajoute-t-il, «spécialement quand il s'agit d'obligations qui sont imposées à la conscience des fidèles»? Bref, en imposant le silence, Rome aurait perdu sa crédibilité, et en acceptant de se taire, les évêques auraient perdu la leur.

Cette critique n'implique pas que sur telle ou telle question controversée, des évêques ne disent pas le fond de leur pensée ou soient personnellement en désaccord avec Rome. Toutefois, s'il s'en trouve parmi eux qui voudraient en discuter ouvertement, ou même entreprendre une simple réflexion théologique, ils ne peuvent plus le faire présentement, car il leur est officiellement interdit de contester Rome ou même de rouvrir l'examen de ces sujets.

Le projet initial du Forum prévoyait qu'en plus des prêtres et des laïcs ayant un mandat de l'Église, les évêques eux-mêmes seraient les bienvenus. Les conditions d'appartenance ont depuis été modifiées. Tout chrétien intéressé aux objectifs du mouvement pourra en faire partie à titre de «sympathisant». Mais pour les évêques, le Forum a inventé une catégorie spéciale.

Afin d'éviter qu'un évêque sympathique au mouvement n'ait à refuser de s'afficher comme tel, que ce soit par solidarité avec l'épiscopat ou pour une autre raison, le Forum, dans ce cas-là, fera de l'intéressé un «abonné à l'information».

Le mouvement sera formé de réseaux régionaux. Une équipe nationale a été mandatée pour en prendre la direction. Plusieurs diocèses y sont représentés: Montréal, Saint-Jean-Longueuil, Joliette, Québec, Nicolet, Trois-Rivières, Saint-Jérôme et Gatineau. Le Forum compte également mener son action en lien avec d'autres groupes «apparentés», dont Culture et Foi, Femmes et Ministères, L'Autre Parole.

Parmi les moyens d'action privilégiés, le 15 novembre dernier, par l'assemblée de fondation, on note qu'un même «thème d'observation, de réflexion et d'engagement» sera approfondi par l'ensemble des membres, et un bulletin publié trois fois l'an rendra compte de ses travaux et de ses prises de position.

L'initiateur du Forum André-Naud, Claude Lefebvre, est curé de la paroisse Saint-Étienne de Montréal et membre de la communauté des Fils de la charité. Dans une lettre aux évêques, il écrivait en mai: «Il arrive parfois dans une famille où l'on s'aime pourtant, que l'accès à un dialogue plus authentique et plus fécond passe par la porte étroite d'un affrontement.» Parlant des évêques et des membres du Forum, il termine une lettre plus récente en souhaitant que les uns et les autres ne «restent pas figés sur le seuil». Si elle réussit à franchir ce pas, l'Église du Québec aura peut-être, au sein du catholicisme, ouvert une brèche.

***

redaction@ledevoir.com

Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.

À voir en vidéo