Monsieur l'Indien

Mon premier Indien ou sauvage — c'est ainsi qu'on appelait les Amérindiens quand j'étais enfant — s'appelait Bill Wabo. C'était un personnage des Belles Histoires des pays d'en haut. Yeux de braise, nez aquilin et sombre chevelure tombant sur les épaules, Bill était un gentil naïf qui faisait peur aux petits plantés devant la télé. Puis, mes Indiens furent ceux de Caughna-waga, aujourd'hui Kahnawake. Iroquois de cinéma, déguisés pour le plaisir des petits Montréalais. Nous étions loin des Warriors, et notre regard sur eux était celui d'une personne qui observe des étrangers dans son propre pays.

L'histoire nous avait bien appris qu'ils étaient au Canada avant nous mais qu'ils vivaient dans un état déplorable de pauvreté et d'ignorance. Nous leur avions apporté la civilisation, leur avions donné Dieu et, ainsi, une place au ciel. Somme toute, ils devaient probablement être reconnaissants de tout ce que nous leur avions donné, nous qui n'avions rien pris puisque nous avions développé des ressources que les Indiens auraient été totalement incapables d'exploiter.

Ce n'est qu'avec l'élection de René Lévesque en 1976 que la question amérindienne nous fut posée sous l'angle du développement économique, du partenariat et de la responsabilisation des communautés autochtones. Nos attitudes changèrent en théorie, mais nos perceptions se modifièrent très peu. Et surtout, le problème fondamental, celui de notre occupation de leur territoire, celui de leur droit à l'autonomie et au territoire, n'était pas encore posé. Ce qui persistait aussi, c'était l'ignorance totale des conditions de vie dans les réserves, la certitude que les autochtones étaient généreusement traités par le ministère des Affaires indiennes et que, finalement, nos Indiens étaient bien dans leurs réserves puisqu'ils y demeuraient. Toutes ces certitudes se sont estompées, pense-t-on souvent, au fil des crises comme celle de Kanesatake et des reportages sur le crime organisé ou sur le commerce des cigarettes. Notre attitude a-t-elle fondamentalement changé? Rien n'est certain si on se fie aux résultats d'un sondage commandé par l'Assemblée des Premières Nations.

Bien sûr, notre ouverture politique a évolué, en théorie du moins. Ce sondage révèle que les trois quarts des Québécois sont favorables à la gestion des richesses naturelles par les autochtones et au libre accès aux terres traditionnelles, mais la moitié des Québécois et une majorité de francophones refusent d'en accepter la conclusion évidente et nécessaire: celle de l'autonomie et du partage du territoire. En effet, comme le soulignait hier dans ce journal Ghislain Picard, chef des Premières Nations, le développement des ressources et l'autonomie doivent nécessairement passer par le partage du territoire. Il est intéressant de noter qui sont les Québécois qui s'opposent le plus à l'autonomie politique, administrative et juridique des autochtones. Ce sont les jeunes de 25 à 34 ans, les francophones, les citoyens de la région de Québec et les gens financièrement à l'aise. Cette énumération correspond en gros au noyau de la clientèle nationaliste et péquiste et illustre une des contradictions les plus profondes qui caractérisent le discours indépendantiste. En effet, depuis des lustres, ce sont les populations fortement nationalistes, celles qui considèrent que les Québécois constituent une nation dotée du droit à l'autodétermination, qui s'opposent le plus farouchement à la reconnaissance du même droit pour les neuf nations autochtones qui vivent sur le territoire québécois. Ghislain Picard citait jeudi l'exemple du dossier des Attikameks, qui a été déposé en 1979 et qui, 27 ans plus tard, n'a pas avancé d'un cran.

Pour le reste, le sondage nous apprend que nous sommes toujours aussi ignorants des véritables conditions de vie des autochtones.

Il y a une quinzaine d'années, grâce à Florent Volant et Claude Mackenzie, les deux chanteurs de Kashtin, j'avais visité une dizaine de nations autochtones au Canada. À Maliotenam, j'avais découvert une hospitalité et une solidarité qui m'avaient ému. À Moose River, une réserve ontarienne près de la baie James, le lendemain d'un spectacle de Kashtin, nous avions compté une trentaine de personnes ivres mortes qui dormaient dans les rues. À Prince Rupert et aux îles Charlotte, avec les Haïdas, nous avons été époustouflés par le degré d'autonomie et de responsabilisation, qui se traduisait par une communauté socialement et économiquement saine. Plus tard, aux Escoumins, j'ai vécu quelques jours dans une municipalité entièrement amérindienne où le chômage n'existait pas et où les Blancs étaient employés par les «Indiens».

Dans chacune des réserves que j'ai visitées, une constante se dégageait: plus les communautés détenaient de pouvoir et de maîtrise sur leur milieu, plus elles étaient prospères et offraient des milieux de vie sains à leurs enfants. Plus les autochtones dépendaient des gouvernements, plus ils croupissaient dans la pauvreté et la déchéance. Si on pense que l'épanouissement du Québec est conditionnel à la souveraineté, il me semble impossible de poser la problématique autochtone de façon différente.

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