Un degré de séparation - En bons termes après la rupture

Que reste-t-il de leurs amours? David Boutin et Catherine-Anne Toupin incarnent le couple séparé dans la pièce de théâtre Le Périmètre. Leur enfant les oblige à coexister selon un nouveau code et à ne plus franchir les limites du périmètre.
Photo: Pascal Ratthé Que reste-t-il de leurs amours? David Boutin et Catherine-Anne Toupin incarnent le couple séparé dans la pièce de théâtre Le Périmètre. Leur enfant les oblige à coexister selon un nouveau code et à ne plus franchir les limites du périmètre.

Au printemps dernier, dans un boui-boui infect, une femme s'approche de la table à laquelle monsieur B, Namour (son papa) et moi sommes assis. «C'est donc vrai, ce que vous racontiez à la télé? Vous êtes restés en bons termes? Je n'en reviens pas... Je pensais que c'était seulement du baratin de médias pour avoir l'air cool. Félicitations à vous deux! Monsieur B a bien de la chance... »

Cette lectrice était ravie de voir une famille unie malgré la séparation. De constater que l'amour peut triompher de tout, même des naufrages sentimentaux et du mauvais couscous. Le deuil de la famille est un tout petit peu moins douloureux lorsqu'on sent que l'exemple à donner est plus important que les comptes à régler.

J'y trouve un sentiment d'apaisement quant au genre humain, une application concrète de l'idéalisme. Namour et moi nous sommes entendus sur des sujets qui représentent autant de peaux de banane sur lesquelles glisser, et nous ne serons jamais à l'abri des rechutes. Il aurait été facile de faire des essais nucléaires plutôt que de considérer l'autre comme un partenaire privilégié. Beaucoup d'alliés se seraient fait un plaisir d'alimenter notre discorde et d'aiguiser nos haches. La guerre, tout le monde est contre mais chacun s'en mêle.

Nouvelle configuration du monde

Près du lit de monsieur B, une photo de son papa le tenant dans ses bras. Et sur la table de chevet de sa chambre, chez Namour, une photo de mon B avec moi.

Si ça peut rassurer quelqu'un, je ne suis pas en train de faire la promotion de la garde partagée sans effets secondaires ou de copier Esther dans Rumeurs. Les parents séparés ont plutôt l'habitude de raser les murs lorsqu'il est question de leur château de cartes. Ce n'est pas parce que c'est une tendance lourde dans une société qui promeut l'idéologie du bonheur individuel que ça en fait l'idée du siècle. Ni du suivant, d'ailleurs.

L'émotion qui prédomine s'apparente à la culpabilité. Et lorsque la haine, la rancune et la colère mettent le feu aux poudres, bonjour la salade d'avocats. De nos jours, la vengeance est un surgelé qui se mange froid après six séances gratuites de médiation.

Lorsque la nouvelle blonde de Namour m'a écrit un charmant courriel m'expliquant que sa relation avec mon fils serait toujours teintée du respect qu'elle éprouve pour moi, sa mère, j'ai su que nous étions tous devenus adultes grâce à un enfant. J'en suis encore émue. Namour et moi nous écrivons ou nous téléphonons presque tous les jours au sujet de notre fils. Je lui laisse des messages qui frôlent le harcèlement sexuel: «Allô, faut que je te parle de fesses. Mais ça peut attendre à demain matin. Je t'attends à 9h. Bonne journée!»

Chaque deuxième dimanche, nous nous retrouvons en famille au restaurant. «Vous serez toujours une famille à mes yeux», m'a déjà confié un pédopsychiatre. Il n'y a qu'avec Namour que je puisse partager la fierté, les inquiétudes, les règles de discipline, les bobos, l'humour et autres faits d'armes qui tissent le quotidien des familles.

Nous avons mis nos sentiments négatifs entre parenthèses pour le bien commun, pour que chacun s'en sorte avec le moins de séquelles possible. Facile à dire, je sais. Ajouter l'insulte à la gifle peut soulager. Momentanément. Je lis Gandhi assise sur mon tapis de clous: «Chacun a raison de son propre point de vue, mais il n'est pas impossible que tout le monde ait tort.»

Namour et moi avons agi d'instinct sur ce territoire miné, car les nuances de la diplomatie ne s'apprennent pas à travers les pages raisonnables des livres de pop-psycho. Et nous ne sommes pas les porte-parole d'une nouvelle religion.

Après neuf mois, le temps d'une grossesse, nous mesurons nos progrès, l'aisance de monsieur B dans ce processus de haute voltige émotive. Nos tâtonnements sont moins maladroits; on s'habitue si facilement à la paix. Et nous savons combien elle peut être précaire.

Tous pour un, un pour tous

Sur dix tandems amoureux, cinq auront une crevaison, dont quatre avec des enfants dans le porte-bagages. Namour et moi faisons partie des maigres 15 % de parents qui entretiennent une relation «amicale» après une séparation. 50 % d'entre eux demeurent «négociables» (sans se claquer la porte au nez mais en appréciant l'invention des courriels) et les 25 % restants fonctionnent par avocats interposés.

«C'est efficace dans un conflit quand on met son intelligence en jeu plutôt que ses émotions», affirme Harry Timmermans, psychologue à la retraite, médiateur donnant des séminaires sur la coparentalité depuis dix ans au Palais de justice de Montréal, coauteur de l'ouvrage Les parents se séparent (Éditions du CHU Sainte-Justine). «Les trois choses les plus néfastes pour un enfant? Les tensions parentales, la pauvreté et la perte relationnelle avec un des deux parents», énumère le psy, qui écoute les récriminations parentales depuis 30 ans.

«En venant au séminaire, parfois longtemps après la séparation, les parents se rendent souvent compte qu'ils ont placé leurs enfants dans un contexte de souffrance. Il faudrait plutôt donner une nouvelle forme à la famille, meilleure que l'ancienne, pour s'offrir une vie plus agréable. Le plus gros problème des parents séparés est un problème de communication. On se parle le moins possible et, quand on le fait, on s'engueule. Pour les enfants, "mes parents m'aiment tellement qu'ils s'entretuent pour moi" n'est pas un message tonifiant.»

Être en mauvais termes signifie parfois que l'enfant devient la courroie de transmission des parents séparés: «C'est légitime d'avoir besoin de savoir ce qui se passe avec l'enfant quand il est chez l'autre parent, souligne Harry Timmermans. Mais c'est l'autre parent qui doit répondre, pas l'enfant. L'enfant interprète à sa façon et peut manipuler aussi. Et il ne faut pas se faire d'illusions: on ne crée pas un attachement profond avec de l'argent et des cadeaux. L'enfant sait faire la différence. Une véritable relation affective ne peut pas être achetée. C'est une fausse conception de l'intimité, qui, elle, consiste à consoler, à être près l'un de l'autre, à se parler.»

Les jours où j'ai le sentiment d'avoir tout raté, je me raccroche à la certitude que nous nous dépassons, que nous sommes de good enough parents, séparés et séparément.

«Vous conférez une valeur à cet enfant, me rassure le médiateur-psy. Il sait qu'il compte, et son estime de lui-même est bien meilleure. Et puis, ça lui donne une sacrée leçon de vie! Ça dit aux enfants que les adultes peuvent régler les conflits de façon compétente.»

Le bonheur, c'est lorsque vos actes sont en accord avec vos paroles. Pourquoi se réclamer de Gandhi si c'est pour imiter Kim Jong-il?

cherejoblo@ledevoir.com

Ceci n'est pas un blogue

Zone de confort

Ce soir, je vais voir la pièce Le Périmètre de l'auteur et metteur en scène Frédéric Blanchette. Aucune idée si c'est bon, même si j'ai lu la première scène. Ça m'a l'air plutôt tendu, mais c'est du théâtre. C'est peut-être pour ça que je ne suis pas très théâtre: même quand c'est heureux, c'est «tendu».

Le Périmètre raconte la rupture d'un couple qui doit garder contact à cause de l'enfant qu'il a mis au monde. Rien de plus banal, et pourtant, il y a des jours où je me dis que les anthropologues se pencheront avec un sourire sur notre civilisation ou ce qu'il en restera dans quelques siècles. Ils se partageaient les enfants... quelle drôle d'idée! Certains spécialistes suggèrent que ce serait plutôt aux parents de se promener avec leur valise!

Le périmètre dont parle Blanchette (non, c'est pas mon cousin) réfère à cette zone, frontière floue qu'on installe entre ex. On connaît tout de l'autre mais on feint de ne plus savoir, on tente de se réinventer ailleurs. «On est régi par un nouveau code», me glisse Frédéric Blanchette, assis au café Auprès de ma blonde. «La séparation, c'est plus complexe que "l'un laisse l'autre". Les différences sont amplifiées par la séparation. Le thème central de la pièce: que reste-t-il d'une relation?» Des restes humains identifiés, et d'autres qui le sont beaucoup moins.

«Chose certaine, convient l'auteur, on met trop de poids sur l'amour. On demande à l'autre de tout combler: amante, meilleure amie, muse, mère. Si un seul élément bascule, on doute, c'est pas la bonne. C'est un manque complet de maturité. L'engagement ne veut plus rien dire. Il n'y a plus rien qu'on place au-dessus de nous.»
- Le Périmètre, au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 4 novembre. www.theatredaujourdhui.qc.ca.

www.chatelaine.com/joblo

Convaincu: le papa de mon fils d'assister au séminaire sur la coparentalité donné par le psychologue Harry Timmermans pour l'Association de médiation familiale du Québec. Deux sessions de deux heures les deuxième et troisième mercredis de chaque mois et vous obtenez votre diplôme. On y aborde quatre thèmes: le choc psychologique de la séparation, les réactions et les besoins des enfants, la communication et la famille recomposée. À ce propos, la tendance en cette matière s'appelle la «conjugalité non cohabitante». Les parents séparés se rematchent avec de nouveaux conjoints sans nécessairement procéder à une refonte territoriale. Les enfants apprécient beaucoup, semble-t-il. % 514 990-4011, mercredi, de 18h à 20h. 10 $ par session. On conseille aux deux parents d'assister au même séminaire, même s'ils doivent s'asseoir dans deux rangées différentes.

Acheté: Quand mes parents ont oublié d'être amis (Héritage Jeunesse), un livre qui permet de dialoguer avec l'enfant de parents séparés. Ceux de cette histoire s'entendent bien après la séparation, c'est déjà ça!

Aimé: Je ne veux pas changer de maison, de Tony Ross (Gallimard jeunesse). Très drôles, ces aventures de la famille royale et de la princesse. Déménager est toujours un stress et on suggère de ne pas l'ajouter à celui de la séparation. Mais rien n'interdit d'en rire...

Reçu: Séparons-nous... mais protégeons nos enfants, de Stéphane Clerget (Albin Michel). Dans la foultitude de livres consacrés au sujet, celui-ci est à la fois moderne et concret: comment l'annoncer, l'impact sur les enfants selon leur âge, les formules de garde, les erreurs à éviter, les nouveaux conjoints, le rapport avec les grands-parents.

Lu: Ma famille, c'est pas compliqué!, de Pascale Francotte (Alice jeunesse). Tu parles si c'est pas compliqué, sa famille! Entre sa maman, sa future demi-soeur, son papa, sa belle-maman, sa belle-soeur, son beau-papa, le pauvre petit a de quoi s'amuser à faire des arbres généalogiques et à essayer de dépatouiller l'amour inconditionnel du conditionnel.

Adoré: Le Livre des comment (Éditions de La Martinière jeunesse). Pour répondre à tous ces comment de la vie. Comment fait-on des enfants, comment savoir ce que sera notre avenir, c'est quoi réussir sa vie, comment être certain que nous ne vivons pas dans un rêve, est-ce que Dieu peut nous entendre, comment est-on certain d'aimer quelqu'un pour de vrai? Euh...

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