Et puis euh - Une et demie
Il se passe quand même de belles choses dans ce monde cinglé. Si on n'est pas trop exigeant, s'entend, et qu'on sait cueillir au vol comme un fruit mûr les petits plaisirs. Certes, être amateur de sport n'est point une sinécure. Prenez par exemple les supporters du Canadien de Montréal: ils avaient l'âme en paix, humaient à pleins cosinus* le fumet d'une coupe d'autant plus proche qu'il n'y avait plus loin du tout d'elle aux lèvres avec Guillaume Latendresse** aux commandes et pouvaient compter sur un gardien numéro un solide en Cristobal Huet (il paraît qu'il faut prononcer «Huette», tout comme Huot fait «Huotte», mais ne retenez pas votre souffle en attendant que nos bons descripteurs et commentateurs et analystes de che nous prononcent un nom de la bonne manière; tout ce qui les intéresse, c'est de prononcer à l'anglaise des noms qui n'ont aucune consonance anglaise, comme Gerber — Gueubeu — ou Forsberg — Fôrrsbeugue —, probablement par réflexe de colonisé).
Or, voyez-vous ce qui arrive, la saison 2006-07 n'est même pas âgée d'une semaine que, déjà, votre CH n'a plus de gardien numéro un. C'est à cause d'Aebischer — Èbicheu. Oh, bien sûr, on essaie de vous faire croire le contraire, qu'il y a en fait deux numéros un, 1A et 1B, mais j'ose oser entretenir le fol espoir que le public n'est pas dupe d'une pareille machination. Car faisons ensemble le calcul: pour que a + b = 1, il faudrait que chacune des variables équivaille à 0,5, ce qui nous placerait avec des demi-portions devant la cage, et ce n'est de toute évidence pas le cas puisque, dans la nouvelle Ligue nationale, avec toute cette attaque, on ne peut pas survivre avec des cerbères moins qu'entiers. Par ailleurs, si vraiment 1A et 1B ont chacun une valeur de gardien numéro un, on se retrouve avec a + b = 2, soit un gardien numéro deux. En somme, ça marche pas.Vous me suivez? C'est pas grave. Mais vous comprenez certainement à quel point il est ardu dans les circonstances, alors que brûle la flamme de tous les possibles — oui oui, tout à fait — dans les 29 autres villes de la Nationale Hockey Ligue, de s'accrocher aux mailles effilochées de la Flanellette. D'autant plus que le trio Plekanec-Kovalev-Samsonov ne livre pas la marchandise, messieurs dames, ou du moins n'est-ce pas gratuit même si ça prend plus de 60 minutes.
(* Selon un théorème, un effluve peut se sentir par les cosinus à l'expresse condition que le club soit sur une bonne tangente.
** Selon des sources, Guillaume Latendresse sera nommé capitaine du Canadien début novembre et verra son chandail retiré en mars au plus tard. Le 84 mars pour être précis.)
Donc, disions-nous avant de perdre vos illusions, il y a de belles choses. Le hic, c'est que j'allais vous entretenir, à cet égard, de l'élimination hâtive des Yankees de New York. Or, entre-temps, on a appris que l'avion du lanceur Cory Lidle était allé se fracasser contre un immeuble de Manhattan, ce qui rend le cassage de sucre sur le dos de cette équipe paquetée de plutôt mauvais goût. Contentons-nous donc de nous réjouir unilatéralement de la victoire des Tigers de Detroit, une bande de gagne-petit — toute chose étant relative par ailleurs, et même par ici — qui a encaissé 119 revers pas plus tard qu'il y a trois ans, dont tout le monde riait, et qui s'est découvert une belle nouvelle jeunesse sous les ordres du gérant Guillaume Latendresse.
Ben non, c'est pas vrai. Certes, Latendresse est presque indiscutablement l'un des meilleurs joueurs de baseball de tous les temps, mais il est encore trop jeune pour être gérant dans les ligues majeures. Attendez au moins l'an prochain.
Le gérant en question, c'est Jim Leyland. Et Leyland en a sorti une bonne cette année, qui mérite d'être racontée (la bonne, pas l'année). En précisant que Leyland est un grand fumeur, qui avait coutume d'en griller plusieurs dans l'abri des joueurs pendant les matchs quand cela n'était pas encore socialement inacceptable à cause du message que ça envoie à nos jeunes.
Donc, au début de la présente saison, les Tigers connaissent une belle poussée, et ils reviennent souvent de l'arrière pour arracher des victoires. Lors d'un match à Oakland, ils sont en déficit en neuvième manche lorsque le troisième-but Brandon Inge se présente au bâton. Avec un compte de 0-2, Inge parvient à frapper neuf fausses balles de suite, puis obtient finalement un coup sûr décisif au 15e lancer. De la très grosse ouvrage.
Par la suite, Inge dira que cette présence avait été une incitation à «se ronger les dix ongles». Leyland, lui, aura ce commentaire: «Cette présence au bâton a duré une Marlboro et demie.»
Voilà, c'est juste ça. Ce ne sont pas vos joueurs de hockey qui en émettraient de pareilles. «Ouais euh définitivement c'était long et puis euh j'pense que ouais ouais et puis euh.»
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Vous affectionnez la publicité autant que moi? Vous voyez ou entendez une annonce et vous ressentez le signal moléculaire qui vous dit d'aller acheter ça et vous y allez? Vous croyez sincèrement que la pub est un art au même titre que... que... que les autres formes d'art? C'est votre affaire, mais laissez-moi vous dire que je vous trouve un peu bizarre. Penseriez pas que le Canadien a deux gardiens numéro un et demi, ce qui donne le toujours honni ménage à trois, par hasard?
Alors voici. Les White Sox de Chicago (c'est du baseball, pour ceux d'entre vous qui n'ont pas le temps à consacrer à ces niaiseries parce qu'il y a des choses beaucoup plus importantes dans la vie, comme la date de l'intronisation au Temple de la renommée de Guillaume Latendresse) ont annoncé hier la conclusion d'une entente de commandite avec la chaîne de dépanneurs 7-Eleven. Jusque-là, rien pour arrêter les presses.
Mais cette entente présente un aspect particulier, tout à fait original, et franchement à se péter la tête sur les murs: en sa vertu, les matchs locaux des White Sox débuteront désormais à 19h11, soit, on l'aura compris, 7:11 PM.
Ainsi, chaque fois qu'un annonceur de la radio ou de la télé parlera du match, il fera de la pub pour 7-Eleven.
Vous, ça vous regarde, mais moi, je trouve qu'on vit définitivement et puis euh à une époque formidable.
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jdion@ledevoir.com