Médias - Grandes manoeuvres télévisuelles
Donc, comme l'indique aujourd'hui Le Devoir, Quebecor voudrait pouvoir mieux jouer la convergence en information entre ses différentes propriétés médiatiques, en faisant valoir que Radio-Canada le fait de plus en plus!
Est-ce à dire que Quebecor veut demander à ses journalistes de couvrir le même événement au besoin pour la télévision, le journal et le site Internet? Est-ce plutôt une sorte de convergence promotionnelle accrue? Nul doute que beaucoup de questions seront posées aux dirigeants de l'entreprise d'ici la fin novembre.Cette audience du CRTC, qui se tiendra dans la semaine du 27 novembre et qui veut revoir l'ensemble des règles du CRTC régissant la télévision privée conventionnelle, s'annonce fort mouvementée. La demande de Quebecor s'attaque à un tabou, celui de la séparation entre les salles de nouvelles du groupe. On se souvient que lorsque Quebecor avait acheté TVA/Vidéotron, le principe d'une telle séparation avait été exigé par à peu près tout le monde pour garantir une diversité de l'information et une multiplicité des voix.
Mais pour comprendre cette demande, il faut aussi savoir que Quebecor cherche par tous les moyens à redéfinir plusieurs règles du jeu afin de retrouver sa rentabilité.
Son mémoire déposé au CRTC parle de «l'urgence d'agir», évoque le «traitement inéquitable dont est victime la télévision privée», soutient que la télévision privée «ne pourra pas maintenir son rôle sans changement radical».
Pour le grand public, les difficultés de la télévision conventionnelle sont maintenant visibles: TVA a abandonné cet hiver Vice caché et Un homme mort parce que ces séries coûtaient trop cher, et cet automne elle a lancé très peu de nouveautés, se contentant de diffuser la suite de séries comme Lance et compte et Nos étés, qui avaient été commandées depuis un bout de temps.
La situation décrite par Quebecor pourrait se résumer ainsi: les coûts de production des émissions sont en hausse constante, l'écoute télévisuelle s'émiette à travers un nombre élevé de chaînes, le marché publicitaire tend à se déplacer vers Internet, et la télévision privée conventionnelle en arrache. Les chaînes spécialisées, elles, voient leurs recettes publicitaires progresser fortement, et elles peuvent bénéficier d'une base budgétaire immuable, en recevant une redevance des abonnés du câble et du satellite. Quebecor veut donc revoir les règles publicitaires et soutient que les redevances des distributeurs devraient aussi être versées aux télévisions conventionnelles... sauf à Radio-Canada, dont une partie du financement est public.
C'est dans ce contexte que Quebecor semble vouloir chercher à mieux rentabiliser ses différentes salles de nouvelles.
Mais devant le CRTC, c'est la question de la redevance qui sera probablement la plus discutée, si on se fie aux mémoires déposés devant l'organisme fédéral.
Cette histoire de redevance est un peu compliquée, et personne ne semble la comprendre exactement de la même façon. Quebecor soutient que les distributeurs de signaux de télévision (comme Cogeco, Bell... et Vidéotron) devraient verser une redevance aux télédiffuseurs privés pour avoir le droit de les distribuer à leurs abonnés. Le tarif serait négocié «de bonne foi entre les parties».
Bell est contre, en faisant entre autres valoir que la facture serait refilée au consommateur. Cogeco est pour en principe, mais cette entreprise pose plusieurs conditions: ces droits devraient être «modestes», suivre «une progression modeste», et le tarif devrait être déterminé par le CRTC lui-même, plutôt que d'être laissé à la négociation entre les parties.
L'Association des producteurs de films et de télévision du Québec n'est pas contre, mais les entreprises qui bénéficieraient de cette nouvelle source de financement devraient s'engager à augmenter leurs dépenses de programmation originale, soutient-elle, devraient proposer un plan accéléré de conversion à la technologie numérique et haute définition (HD), et ainsi de suite.
Le ministère québécois de la Culture et des Communications est contre. Il faudrait plutôt hausser le niveau de contribution des distributeurs au Fonds canadien de télévision, fait-il valoir.
Bref, on se retrouve devant un ensemble d'attitudes parmi lesquelles le CRTC devra trancher. Et il est évident que cette audience donnera lieu à une grande bataille de chiffres, qui tournera constamment autour de la question suivante: la télévision privée va-t-elle si mal que ça?
Dans le document préparatoire à l'audience, le CRTC exprime ses propres inquiétudes: l'organisme fédéral craint que les «coûts plus élevés» liés à la conversion au numérique et à la haute définition, «conjugués à une éventuelle baisse des revenus publicitaires», empêchent les réseaux d'investir dans les émissions «au moment où il est important d'investir au maximum dans la production d'une programmation canadienne HD de grande qualité».
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