Les gros sabots de Bush

C'est fait: George Bush a dans sa poche arrière le papier du Congrès qui lui permet de déclencher ses foudres contre l'Irak quand il le veut et comme il le souhaite. Ce résultat, prévisible compte tenu des élections qui auront lieu dans un peu plus de deux semaines, a été obtenu à la suite d'une gigantesque campagne de propagande dans laquelle la télévision américaine et en particulier CNN ont laissé tomber toutes les règles de l'éthique journalistique pour se faire les porte-parole fidèles des thèses les plus réactionnaires et les plus belliqueuses sur l'Irak et le terrorisme, l'inutilité virtuelle des Nations unies et le devoir divin du peuple américain de sauver la civilisation occidentale et de l'imposer là où cela lui semble nécessaire.

Jamais, en 40 ans d'observation du monde, je n'ai vu un pays dit démocratique soumis à une aussi formidable machine de propagande, à un tel unanimisme médiatique, à des propos aussi réducteurs. Le message martelé de façon permanente se résume malheureusement trop facilement, tellement il est horriblement transparent, par cette phrase extraite du document intitulé The National Security Strategy of the United States of America, publié le 20 septembre dernier: «L'humanité tient entre ses mains l'occasion d'assurer le triomphe de la liberté sur ses ennemis. Les États-Unis sont fiers de la responsabilité qui leur incombe de conduire cette importante mission.» Aujourd'hui, cette mission divine, c'est l'Irak.

Personne ne nie l'évidence. Saddam Hussein est un dictateur brutal et sanguinaire, et l'Irak, une puissance militaire dangereuse pour la région. Mais ce n'est pas l'Allemagne nazie, qui proclamait sa volonté de conquérir le monde. Il faut peut-être se rappeler aussi comment ce pays de 23 millions d'habitants est devenu une grande puissance militaire.

Un rappel

Nous sommes en 1980. L'Iran vient de tomber sous le joug des mollahs. La région tremble. Les États-Unis sont humiliés par la prise d'otages de Téhéran. Saddam Hussein décide d'envahir l'Iran. Les États-Unis empêchent les Nations unies de condamner l'invasion. Rapidement, la guerre tourne en faveur de l'Iran.

D'un commun accord, tous les pays occidentaux, États-Unis en tête, conviennent qu'il faut accroître les capacités militaires de Saddam Hussein. Ce sera l'Arabie Saoudite, grande alliée des Américains, qui financera à coups de dizaines de milliards de dollars les achats d'armes modernes qui proviendront essentiellement de l'Égypte, du Brésil et de la France (avions Mirage et missiles Exocet).

Au milieu des années 80, l'Irak décide de développer sa capacité de production d'armes chimiques et bactériologiques en même temps que Ronald Reagan renoue les relations diplomatiques et raye son nom de la liste des «États terroristes». Ce sont essentiellement des entreprises de trois pays qui fourniront à Saddam Hussein les produits nécessaires à la production de cet arsenal chimique que Bush veut maintenant détruire: les États-Unis, l'Angleterre et la France.

Dans chacun de ses discours, le président Bush rappelle (avec raison) que Saddam Hussein n'a pas hésité à utiliser des armes chimiques contre sa propre population. En effet, en mars 1988, l'armée irakienne a utilisé des gaz contre la ville kurde de Halabja. On évalue le nombre de victimes à 5000. C'est un crime horrible qui justifie toutes les condamnations. Mais on sait maintenant que durant cette période, l'armée irakienne a profité des renseignements et des conseils d'une cinquantaine de conseillers militaires américains qui, au courant de l'utilisation des armes chimiques, n'ont émis aucune critique ou réserve.

Raisonnement simpliste

Plus pernicieuse encore mais présente dans toutes les interventions de Bush, on retrouve une stratégie systématique qui tend à prouver l'inutilité de l'ONU. Le raisonnement est simpliste mais efficace aux États-Unis: si l'ONU n'appuie pas une attaque contre l'Irak, elle aura «démontré son inutilité». Et le président, tout comme les journalistes, cite le fait que l'Irak a contrevenu à 17 résolutions du Conseil de sécurité et que ce seul fait justifierait une invasion internationale.

Le président Bush, pourtant, a peut-être lu la résolution 1232, adoptée par le Conseil de sécurité le 7 octobre 2000, qui déclare: «Le Conseil de sécurité, rappelant ses résolutions 476 (1980), 672 (1990) et 1073 (1996), ainsi que toutes ses autres résolutions pertinentes [...], réaffirmant qu'une solution [...] du conflit israélo-palestinien doit se fonder sur ses résolutions 242 (1967) et 338 (1973) [...], demande à Israël, la puissance occupante, de se conformer scrupuleusement à ses obligations juridiques [...].»

En fait, quand le Conseil de sécurité parle de ses «autres résolutions pertinentes», il fait allusion à plus de 200 résolutions adoptées par les Nations unies depuis 1949, condamnant les déplacements de population, l'occupation, les colonies de peuplement, les tortures, l'invasion du Liban, l'annexion du plateau du Golan, et j'en passe. Alors, M. Bush, si le refus d'appliquer 17 résolution justifie une invasion, que doit-on faire avec Israël pour prouver que les Nations unies ne sont pas inutiles?

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