La dernière carte

Il n'y a que Bernard Landry pour s'encenser de la sorte. «J'ai rarement vu un gouvernement aussi efficace que celui qu'on a depuis 1994», confiait-il hier matin.

C'était à se demander s'il n'allait pas, tel Narcisse, se transformer en fleur. «Si vous voulez que je pense du bien de vous, n'en dites jamais», disait Victor Hugo.

Quand on lui a demandé quel serait le principal enjeu des prochaines élections, le premier ministre a répondu, en toute logique: «La continuation d'un gouvernement efficace qui a fait ses preuves.» Bref, le PQ court au désastre, disent les sondages, donc on maintient le cap. Tout au plus le congrès d'orientation prévu pour le début 2003 pourrait-il revoir certaines «modalités» du programme. On se demande parfois si le commandant en second de la brigade légère n'a pas développé un instinct suicidaire depuis qu'il a été promu général en chef.

La confiance en soi est assurément une qualité. En politique, où les critiques fusent de partout, elle est même indispensable, mais elle ne doit pas interdire le doute. Lors de sa visite au Devoir, M. Landry semblait habité par une certitude absolue. À aucun moment au cours de ces 90 minutes d'entretien, il n'a semblé effleuré par l'idée que les Québécois puissent ne plus adhérer de façon inconditionnelle au modèle hérité de la Révolution tranquille.

Au conseil national de Gatineau, M. Landry avait pourtant semblé reconnaître le bien-fondé de l'admonestation que lui avait servie son président du Conseil du trésor, Joseph Facal, au lendemain des désastreuses élections partielles du 17 juin. Il avait concédé que «la modernisation de l'État québécois suppose des remises en question et interpelle nos façons de faire et de penser». À l'entendre hier, on voyait mal ce qu'il entendait remettre en question. Il donnait plutôt l'impression d'avoir voulu clore le débat en donnant une petite tape sur l'épaule de son ministre.

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On a souvent attribué les déboires du PQ à l'incapacité de M. Landry de se démarquer de son prédécesseur. En fait, il y a bien eu un changement de cap depuis le départ de Lucien Bouchard. Par la force des choses, la quête du déficit zéro avait entraîné une mise entre parenthèses de la social-démocratie. L'arrivée de M. Landry a coïncidé avec un retour à une relative aisance budgétaire, qui a permis au PQ de renouer avec ses orientations d'origine.

Certains diront que M. Landry a aussi rompu avec lui-même, dans la mesure où il était de ceux qui s'opposaient à des mesures comme l'équité salariale ou la hausse du salaire minimum à l'époque où il était ministre des Finances. Précisément, il était ministre des Finances, alors qu'aujourd'hui, il est le chef d'un parti qu'il doit remobiliser à tout prix.

M. Landry semble sincèrement convaincu du caractère artificiel de la popularité de l'ADQ. Autant son attachement aux valeurs libérales interdit à Claude Ryan de croire à la possibilité d'un virage à droite comme celui proposé par l'ADQ, autant le credo social-démocrate de M. Landry le rend inconcevable à ses yeux.

Pour achever de s'en convaincre, il a repris à son compte la comparaison que Jean Charest a faite avec sa propre situation lorsqu'il avait succédé à Daniel Johnson, au printemps 1998. Après une ascension vertigineuse dans les sondages, le PLQ avait rapidement piqué du nez, et les électeurs avaient finalement choisi de renouveler leur confiance à Lucien Bouchard.

La référence à M. Bouchard est pertinente, mais pas nécessairement la comparaison. S'il était encore premier ministre, il y a fort à parier que l'ADQ ne survolerait pas les sondages comme c'est actuellement le cas. Plusieurs de ceux qui se tournent aujourd'hui vers le parti de Mario Dumont se reconnaissaient certainement mieux dans le conservatisme de M. Bouchard que dans la social-démocratie retrouvée de M. Landry. Sans parler des ardeurs référendaires du PQ, contre lesquelles il semblait plutôt être une protection.

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Même si le dernier sondage de la maison CROP, réalisé entre le 20 septembre et le 6 octobre, suggère que les vives attaques dont le programme de l'ADQ a été l'objet au cours des dernières semaines n'ont pas entamé sa popularité, le premier ministre prétend miser sur une lutte à trois qui permettrait à son parti de se faufiler. Il le reconnaît volontiers: le PQ joue son existence. Si haute soit l'opinion qu'il peut avoir du bilan de son gouvernement, il serait bien imprudent de tout miser là-dessus.

Il est le premier à savoir que les chances de forcer le gouvernement fédéral de céder des points d'impôt aux provinces dans un avenir prévisible sont virtuellement nulles. Si le passé est garant de l'avenir, il y a de fortes probabilités qu'Ottawa et les provinces anglophones en arrivent à une entente sur les conditions d'une augmentation de la participation fédérale au financement des services de santé, conditions auxquelles le Québec pourra difficilement souscrire.

S'il y a un point sur lequel le PQ peut encore espérer damer le pion à l'ADQ et aux libéraux, c'est dans sa détermination à défendre les intérêts du Québec face à Ottawa. À défaut d'un référendum sur le rapatriement de points d'impôt, auquel il a confirmé avoir renoncé, c'est seulement à l'occasion des prochaines élections que M. Landry pourra soumettre à la population les questions «existentielles» qu'il a évoquées dans son entrevue au Devoir. De toute manière, ça semble bien être sa dernière carte.

mdavid@ledevoir.com

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