Le feuilleton: L'enfance retrouvée...
«Il y avait déposée en toute femme une avance sur la femme qu'elle allait être, et c'est justement dans ce gros empiétement sur le temps que résidait la malédiction des hommes qui, eux, possédaient incontestablement un retard en étant toujours ce qu'ils avaient déjà été.»
Il y a des livres que l'on savoure dans la fantaisie, dans l'amusement, pour le plaisir de la liberté et de l'invention pure. C'est rare, mais cela arrive, comme avec ce premier livre du jeune écrivain français âgé d'à peine 27 ans, David Foenkinos. Invention qui ne nous surprend pas seulement par le caractère non convenu de son récit mais aussi par les pouvoirs innovateurs de sa langue. Il y a eu Queneau, Perec, Calvino, Frédéric Dard, Swift, sans compter bon nombre de surréalistes. Il y aura maintenant Foenkinos, qui n'en revient pas d'avoir pu faire tenir ensemble Dostoïevski, Gombrowicz et Frank Zappa...Une boîte de sardines millésimée
L'histoire commence avec un Polonais, Conrad, neveu supposé de Milan Kundera, qui quitte sa Prague natale pour se retrouver à Paris, sous l'aile protectrice de son oncle qui, pour s'en débarrasser, lui trouve un petit boulot de magasinier à la librairie Gallimard. Une sorte de simple d'esprit que son employeur n'apprécie guère et qui se fait exploiter sans état d'âme, ou plutôt en gardant toujours son âme d'enfant. Pendant ce temps, Victor, un jeune qui pourrait bien avoir l'âge de l'auteur, propose à l'amour de sa vie, Teresa, une boîte de sardines millésimée pour ses 30 ans, boîte dont le contenu se retrouve illico sur sa veste. «J'y avais pourtant mis mon âme dans ce cadeau. Rien ne me semblait plus original que les sardines millésimées.» Ne cherchez pas l'erreur, l'idiotie traverse ce livre fait pour les primitifs du sentiment, les simples d'esprit, les délestés du bol.
Déprimé par cette rebuffade qui se transforme en rupture (mais sans que la princesse quitte le foyer), Victor tombe dans la déprime, se retrouvant chez ses parents à recevoir à la queue leu leu «des petites vieilles anonymes» qui viennent s'asseoir devant son lit afin de réaliser leur sortie du jour. Ça ne pouvait durer bien longtemps. Victor décide donc de retourner chez lui. Pour réparer son erreur il est prêt à tout, mais comment faire, alors qu'il a toujours manqué d'imagination? Un curieux hasard met sur sa route Conrad, pour lequel il éprouve immédiatement une sympathie sans bornes. Le voilà donc lui proposant une chambre chez lui, sûr que Teresa ne pourra résister à son charme. Ce qui arrivera en effet.
Déprimé par cette rebuffade qui se transforme en rupture (mais sans que la princesse quitte le foyer), Victor tombe dans la déprime, se retrouvant chez ses parents à recevoir à la queue leu leu «des petites vieilles anonymes» qui viennent s'asseoir devant son lit afin de réaliser leur sortie du jour. Ça ne pouvait durer bien longtemps. Victor décide donc de retourner chez lui. Pour réparer son erreur il est prêt à tout, mais comment faire, alors qu'il a toujours manqué d'imagination? Un curieux hasard met sur sa route Conrad, pour lequel il éprouve immédiatement une sympathie sans bornes. Le voilà donc lui proposant une chambre chez lui, sûr que Teresa ne pourra résister à son charme. Ce qui arrivera en effet.
Conrad est irrésistible. «Il y avait du divin chou dans sa simplicité en bordure d'idiotie.» On se sent immédiatement l'envie de le choyer, de le cajoler, de le faire rire, de devenir son père ou sa mère. Même les voisins se mettent de la partie, et aussi un ami banquier, Édouard, que la simplicité de Conrad va rendre fou. Dans sa folle simplicité, ce que Conrad a encore de précieux, c'est de savoir instinctivement ce qu'il veut, alors que, par comparaison, Victor est un handicapé de la décision. «Je lui proposai une orange et il me répondit non. Ça n'a pas l'air, comme ça, mais quand on se tue dans les hésitations du quotidien, rien n'est plus fascinant. À tous les coups, j'aurais pesé le pour ou le contre de l'orange. Ça réveille, mais c'est acide. C'est vitaminé, mais ça pique. En ai-je vraiment envie?»
Toujours est-il que Conrad n'apporte pas que des solutions. Car tout le monde se l'arrache, ce qui mène tout droit le couple, toujours à couteaux tirés, vers un partage de garde... ce qui nécessite d'abord des avocats — maître Guèrépais et Victor Victoire — et, ultérieurement, un jugement. Et puis aussi les médias, friands de ce genre d'histoire. Et c'est là qu'interviennent deux Polonais qui auront beaucoup d'influence sur la suite du récit. Mais je m'arrête.
Je ne dirais pas que l'on sort grandi d'un tel récit mais certainement le sourire aux lèvres, avec le souvenir de quelques réussites linguistiques ou rhétoriques qui nous rendent plus légers. C'est peut-être cela, l'insoutenable légèreté de l'être du faux oncle en question... À travers cet échantillon d'humanité burlesque, on retrouve sans doute aussi quelques thèmes qui ne sont pas sans faire écho aux fantasmes de nos contemporains. En son temps, Dostoïevski avait inventé l'idiot qui mettait à nu les jeux du pouvoir et de la vérité. Foenkinos invente quant à lui le simpliste dont tout le monde a besoin pour continuer encore à croire en l'amour, au détriment toutefois de la raison partagée. Ce n'est quand même pas mal, pour un premier roman...
INVERSION DE L'IDIOTIE - DE L'INFLUENCE DE DEUX POLONAIS
David Foenkinos
Éditions NRF Gallimard
Paris, 2002, 211 pages