Une figure imposée
S'il y a une conclusion à tirer du Forum sur le déséquilibre fiscal, c'est qu'il ne faut à aucun prix tenir de référendum sur le rapatriement de points d'impôt. Un mois de redites comme celles qu'on a entendues pendant deux jours ne pourrait que résulter en un taux d'abstention record, qui ne serait pas de nature à renforcer la position du Québec.
En tout cas, il ne faudrait pas trop compter sur la presse pour attiser l'indignation de la population. On pourrait qualifier de minimale la couverture qui a été accordée au Forum. Au troisième jour d'une campagne référendaire, les médias se désintéresseraient complètement de ce débat à sens unique, sauf pour monter en épingle la moindre chicane au sein du camp du oui.Il est vrai qu'à voir les participants au Forum se disputer à l'avance les fonds qui pourraient éventuellement venir d'Ottawa, on pourrait espérer voir la campagne tourner à la cacophonie, malgré l'unanimité que le premier ministre Landry a réussi à arracher in extremis mardi.
M. Landry aura beau s'égosiller à dénoncer une situation qui risque de conduire les finances des provinces à un point de rupture, on voit mal comment il pourrait réussir à mobiliser la société civile dans l'état de faiblesse politique avancée où il se trouve.
Le premier ministre a expliqué que l'écueil budgétaire qui menace actuellement le Québec est encore plus grave qu'il ne l'était en 1996, quand Lucien Bouchard avait réuni un sommet pour imposer l'objectif du déficit zéro.
C'est bien possible, mais M. Bouchard était alors au faîte de sa popularité, tandis que personne ne miserait aujourd'hui la moindre somme sur une réélection du PQ. M. Landry, qui sait sûrement à quoi s'en tenir, semble d'ailleurs avoir écarté de façon définitive le scénario référendaire, si tant est qu'il l'ait sérieusement envisagé.
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Il est vrai que le paysage politique québécois a changé au point d'être méconnaissable depuis que la commission Séguin a remis son rapport, en mars dernier. À l'époque, l'ADQ demeurait une quantité presque négligeable. Malgré un début d'année difficile, le PQ n'avait pas encore perdu tout espoir de remonter la pente et un grand sommet sur le déséquilibre fiscal, suivi d'un référendum, pouvait apparaître comme un bon tremplin électoral.
Après avoir encensé le rapport Séguin, il aurait été un peu gênant de ne pas lui donner suite, mais le PQ n'a plus grand-chose à en attendre. Dans le contexte actuel, le Forum de cette semaine ressemblait plutôt à une figure imposée. M. Landry estime que «la voix du Québec est plus forte aujourd'hui qu'elle ne l'était hier», mais à la prochaine conférence des premiers ministres, au début de 2003, il sera lui-même perçu comme un «séparatiste» dont le Canada sera bientôt débarrassé.
S'il était possible d'amener les deux partis d'opposition à unir leurs voix à celle du gouvernement pendant un Forum de deux jours, la formule retenue reposait d'ailleurs sur une ambiguïté qui excluait pratiquement toute union durable à la veille d'une élection générale.
En invitant les représentants de la société civile à s'exprimer sur l'utilisation des surplus fédéraux, le gouvernement transformait l'exercice en une sorte de consultation prébudgétaire, où des partis à la plate-forme différente ne peuvent que s'opposer.
L'ADQ a choisi de fermer les yeux sur cette petite astuce, mais la méfiance des libéraux n'a pas désarmé du début à la fin. Pas question de laisser le gouvernement porter au compte d'Ottawa les résultats de sa propre turpitude, notamment en matière de santé. Le déséquilibre fiscal coûte peut-être 50 millions par semaine au Québec, comme M. Landry le répète quotidiennement, mais le gouvernement en dépense un milliard par semaine, a rappelé Jean Charest.
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Cela dit, personne au Québec ne nie que la fédération canadienne souffre d'un cruel déséquilibre. Tout le monde sait aussi qu'il n'est pas dans la nature d'un gouvernement central de le reconnaître. À cet égard, le commentaire de John Manley, qui recommandait au Québec de fermer ses délégations à l'étranger s'il manque d'argent, était parfaitement conséquent.
M. Manley ne pouvait mieux illustrer l'insignifiance de la résolution sur la «société distincte», que son propre gouvernement a fait adopter par la Chambre des communes au lendemain du référendum de 1995. À Québec, certains essayaient de se convaincre que les ambitions du ministre des Finances le rendraient un peu plus sensible aux revendications québécoises. Ils savent maintenant à quoi s'en tenir. En fait, elles semblent avoir l'effet contraire.
Aux provinces, qui plaident que l'argent devrait aller là où sont les besoins, c'est-à-dire aux provinces, qui ont en principe les pleins pouvoirs en matière de santé et d'éducation, le gouvernement fédéral réplique en substance que les pouvoirs devraient plutôt aller là où est l'argent.
Depuis la Deuxième Guerre mondiale, le débat entre Ottawa et les provinces consiste essentiellement à déterminer qui aura les moyens de façonner le Canada de demain. Si le problème du déséquilibre n'est pas nouveau, l'explosion des coûts de santé, conjuguée à l'apparition de surplus, qui permettent à Ottawa d'envahir les champs de compétence des provinces, le pose avec une acuité sans précédent.
Pour Jean Charest, l'enjeu de la prochaine élection sera de déterminer qui sera le mieux en mesure de faire alliance avec les autres provinces pour faire obstacle aux projets d'Ottawa. Encore faudrait-il que les Québécois aient la même vision de l'avenir du pays que les autres Canadiens.
mdavid@ledevoir.com