Hors-jeu - L'heur de plaire
Dans une nouvelle de Philippe Djian qui remonte à jadis — et dont je vous avais causé le 16 mars dernier, mais si vous ne vous en souvenez pas, ce n'est pas plus grave que ça, moi-même je ne m'en souviens pas —, dans une nouvelle donc qui s'intitule fort plaisamment J'ai enfoncé tous les autres, un gars se fait engager dans une banque pour additionner des colonnes de chiffres complètement ridicules. À un moment donné, il descend dans la chambre forte, où travaille un autre gars, une espèce de comptable taciturne dont le bureau est entouré de tonnes de liasses de billets du dominion mais qui ne semble pas s'en émouvoir.
À un autre moment donné, le comptable vire patraque. Il n'en peut plus, tant de fric à portée de la main. Il se met à courir partout, prend les billets et les lance en l'air en émettant des sons inintelligibles. Si ma mémoire est bonne, et on a vu que rien n'est moins sûr, il se ramassait à l'hosto genre Louis-H.C'est une fable postmoderne. Si vous l'avez aimée, la prochaine fois je vous en raconterai une autre, l'histoire du gars qui voulait un système de santé à deux vitesses jusqu'à ce qu'il constate qu'il s'agissait de «park» et «reculons».
Ceci pour dire que voilà un danger, celui de devenir cinglé en manipulant, serait-ce oralement, de gros montants, qui ne guette guère le merveilleux monde du sportª, et particulièrement ceux qui font profession d'en commenter les «événements» en essayant de faire croire qu'il faut un esprit analytique pour jaser du troisième trio du Canadien. Ne rien vous cacher, j'ai senti qu'après tant d'années à lire Breton dans le texte, je venais enfin de saisir la portée du concept de «surréalisme» lorsque, profitant de mes vacances pour regarder des niaiseries à la télé, je tombai lourdement sur un «débat» où des z'experts discutaient ferme des négociations entourant le renouvellement du contrat de José Théodore.
Quatre millions par année, disait l'un. Non, quatre et demi, disait l'autre. Non, cinq. Oui, mais il veut sept. Mais il ne vaut pas sept. Il vaut cinq, cinq et demi max. On pourrait pas s'entendre pour six?
Des millions, je le signale, destinés à un joueur de hockey. Et que je me te vous balance un petit 500 000 $ par-ci, un petit 750 000 $ par-là, de la menue monnaie, quoi. Je sais bien qu'elle n'est pas nouvelle, cette danse obscène, et qu'il y a la loi du marché et qu'il faut bien qu'ils assurent la sécurité de leur petite famille et gnagnagna, mais bondance, je vous le demande: que vaut l'«opinion» d'un gars qui se montre la face à la télé pour dire qu'un autre gars vaut quatre ou cinq ou six ou sept millions?
Une chance que j'étais en méditation contemplative et que le révolutionnaire néospartakiste de stricte obédience qui sommeille en chacun de nous faisait justement cela, sommeiller. Sinon, je ne sais pas ce que j'aurais pu commettre comme acte irréparable. Peut-être bien que j'aurais saisi le téléphone et que j'aurais appelé Ron. Y est fin, Ron. Et y est tellement drôle, Ron, surtout quand il dit «pas pire pas pire pas pire».
Mais consolons-nous, il n'y a pas que les joueurs qui font le motton. Vous ne le savez peut-être pas parce que vous étiez occupés à suivre les débats d'idées à l'ADQ, mais il y a un autre Ron, MacLean celui-là, qui vient de signer un contrat évalué entre 400 000 et 500 000 $ par année à la CBC pour continuer de servir de souffre-douleur au sublime Don Cherry (700 000 $ et quelque), cinq minutes par semaine à Coach's Corner, le segment de Hockey Night In Canada qui fait la preuve qu'un crétin fini peut faire une fructueuse carrière à la télévision d'État, suffit de déblatérer contre les étrangers et les frogs et de s'habiller comme un plouc.
On a fait tout un plat de cette histoire au Canada anglais, où à ce qu'on raconte la population était massivement rangée derrière MacLean et Cherry, elle qui se demande parfois pourquoi le Québec veut se séparer.
À un moment donné, pendant les négociations, MacLean a déclaré: «Nous sommes à un salaire d'enseignant près de nous entendre.» C'est ça qui est ça.
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Puisque vous aimez les niaiseries au point d'en lire dans le journal, en voici une petite.
Tiger Woods, celui qui excelle comme personne n'avait jamais excellé à envoyer la baballe dans le troutrou, vient de mettre fin à son contrat de commandite avec la firme Rolex USA — il annonçait la montre Tudor de Rolex, une montre qui donne l'heure comme c'est pas possible — et a aussitôt paraphé, comme ils disent aux nouvelles du sport, une nouvelle entente de commandite avec le fabricant suisse TAG Heuer.
Au cas où la chose vous intéresserait, une montre TAG Heuer se détaille jusqu'à 5550 $US. Mais ça donne l'heure, mes amis, ça donne l'heure, l'heure avancée, l'heure normale, l'heure H, l'heure du crime, l'heure de pointe, l'heure des repas, L'Heure des quilles, alouette.
Pour ses loyaux services, Woods recevra annuellement de TAG deux millions de beaux dollars US pendant chacune des trois prochaines années.
Avec ce nouveau contrat, Woods, qui a l'heur de plaire (excusez-la) aux grosses compagnies qui cherchent un gars parfait parfait pour faire vendre leurs bébelles, voit ses revenus publicitaires passer à 62 millions $US par année.
Interrogé à savoir pourquoi il avait quitté Rolex pour se joindre à TAG, le sympathique golfeur a répondu: «Parce que mes goûts ont changé.»
Hé ben.
jdion@ledevoir.com