Contre le privé, la caisse santé

Deux Québécois sur trois, selon un sondage CROP, approuvent l'idée de laisser payer les riches afin que ceux-ci obtiennent plus rapidement des services de santé. Ces gens-là espèrent ainsi le désengorgement des listes d'attente et des urgences des hôpitaux. Mais ils ne réalisent pas que les riches, ce sont eux-mêmes. Au Québec, à peine 1 % des contribuables gagnent plus de 100 000 $ par an. Si quelqu'un paie de sa poche pour les services de santé, ce seront les contribuables de la classe moyenne qui le feront. De vrais riches, au Québec, il y en a trop peu pour soutenir un système privé parallèle.

La Presse a conclu un peu trop vite, à la lecture de ce sondage, que «les Québécois sont favorables à un système de santé à deux vitesses». Un sondage réalisé pour la commission Clair indique plutôt que 88 % (c'est beaucoup!) des Québécois veulent que le système de santé demeure public, gratuit et universel. La population ne veut qu'une chose: préserver l'accessibilité et l'universalité du système. En d'autres termes, le public veut la garantie d'avoir accès à des services de santé lorsqu'il en a besoin et souhaite que tous les Québécois aient accès aux mêmes services, sans discrimination. On ne veut pas des deux vitesses.

D'ailleurs, il faut relire la question posée par CROP. On demandait aux répondants de choisir parmi plusieurs options. L'une d'elles se lisait comme suit: «Laisser les gens qui en ont les moyens se tourner vers le système privé et rediriger les sommes ainsi épargnées vers le système public.» La portion importante de la phrase est à la fin: «rediriger les sommes vers le système public». La majorité des gens n'appuient pas la privatisation. Ils appuient le renflouage du système public.

L'appui manifesté par les Québécois à d'autres hypothèses le confirme. Dans le même sondage CROP, 62 % des gens sont d'accord pour geler les autres dépenses de l'État afin de renflouer la santé. Ils oublient qu'on risque ainsi de ruiner le système d'éducation, d'empêcher la réfection des routes, de mettre en péril la sécurité publique en coupant dans les effectifs policiers, de laisser mourir notre culture à petit feu et de renoncer au développement régional. Qu'à cela ne tienne, 58 % des gens affirment aussi être prêts à «renoncer aux baisses d'impôt promises».

Poursuivons notre analyse. Ce sondage commandé par la commission Clair indiquait aussi que 54 % des gens sont d'accord pour que l'on exige une contribution de l'usager lorsqu'il se présente dans un établissement. Ce résultat est conforme à ceux obtenus par d'autres enquêtes d'opinion. Surprise! Ce ne sont pas les plus riches qui sont les plus favorables à une contribution de l'usager. Jusqu'à 24 % des personnes dont le revenu de ménage est inférieur à 20 000 $ par an sont d'accord. Ceux qui le sont le plus, dans une proportion de 59 %, gagnent entre 20 000 et 40 000 $ par année.

En somme, les Québécois sont prêts à payer plus pour un système de santé efficace, accessible et universel. Au lieu de laisser s'échapper cet argent vers un système privé parallèle contrôlé par les vautours des compagnies d'assurances, ce qu'il faut faire, c'est canaliser cet argent vers le système public. Lorsque celui-ci aura les moyens d'être efficace, plus personne ne parlera du privé.

Les contribuables s'opposent à des hausses d'impôt. Mais de nombreux sondages indiquent qu'ils sont prêts à payer plus si c'est pour la santé. Le premier pas à faire est donc de séparer le budget de la santé du reste. La solution réside dans une idée déjà évoquée par le ministre François Legault: la création d'une caisse santé séparée du budget de l'État mais restant sous la responsabilité du gouvernement, de manière à ce que les arbitrages continuent d'être faits dans des institutions démocratiques.

Les sources de revenu à cette caisse devraient être multiples. Une partie de l'impôt sur le revenu devrait être convertie en contribution à la caisse santé, surtout pour les plus fortunés. Les entreprises, qui cotisent déjà à des régimes d'assurance pour leurs employés, devraient eux aussi verser leur part. Les revenus du régime de l'assurance-médicaments devraient y être intégrés. Une portion des taxes à la consommation devrait être réservée à son financement de manière à ce que l'ensemble des citoyens y contribuent, notamment les taxes perçues sur l'essence, le tabac, l'alcool et les loteries, qui sont des sources de maux et de maladies. Les transferts fédéraux pour la santé devraient y être versés intégralement. Il ne faudrait pas non plus exclure les contributions des usagers déjà existantes: les frais supplémentaires exigés pour des examens de radiologie ou des interventions chirurgicales mineures, le coût d'une chambre privée à l'hôpital, etc.

Créer une caisse séparée pour la santé comporte un autre avantage. Cela rendrait plus transparent le déséquilibre fiscal entre l'État québécois et le gouvernement fédéral, qui ne finance plus que 14 ¢ par dollar (au lieu de 50 ¢ par dollar à l'origine du pacte fédéral-provincial) des dépenses de santé au Canada.

vennem@fides.qc.ca

Michel Venne est directeur de L'Annuaire du Québec chez Fides.

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