Bannissez les ventes à découvert
Les marchés boursiers croulent sous le poids des vendeurs. À un point tel qu’ils ont une fois de plus établi des planchers non vus depuis cinq ans. C’est ainsi que le Dow Jones a clôturé la semaine dernière à 7528,40, soit le plus bas niveau enregistré depuis novembre 1997. Au Canada, l’indice composé S&P/TSX a culbuté sous la barre de 6000, à 5935,33, un niveau non vu depuis octobre 1998.
Des baisses qui ne sont pas sans inquiéter plusieurs experts. Et les confondre aussi. La reprise économique est là, même si elle se révèle plutôt tiède au sud de notre frontière. Mais, les indices boursiers en font fi. Cette dichotomie s'explique en bonne partie par le niveau actuel des cours, niveau encore trop élevé si on tient compte du fait que les indices s'échangent encore à des multiples de 20 fois et plus les profits.Jeffrey Rubin, l'économiste en chef de CIBC World Market, mesure la cherté des marchés boursiers américains par le poids de leur capitalisation boursière par rapport au PIB. Proportion qui, en moyenne, a été de 50 %, atteignant parfois un haut de 75 % du PIB environ. C'était jusqu'en 1996. Depuis, nous sommes tombés dans la démesure. En 2000, cette proportion atteignait 120 % et plus du PIB et, encore aujourd'hui, malgré la récente dégelée, la proportion demeure élevée à près de 100 % du PIB. Pour revenir dans les proportions historiques plus normales, les indices doivent encore reculer de 30 %, voire 50 %.
Voilà un contexte pas très encourageant pour la plupart des investisseurs sauf pour une catégorie d'entre eux: les vendeurs à découvert appelés dans le jargon financier, les «shorteux». C'est-à-dire les investisseurs (dont souvent les hedge fund) qui n'hésitent pas à miser sur une éventuelle dégringolade des marchés pour s'enrichir. Comment y parviennent-ils? En vendant à découvert les titres les plus susceptibles à leurs yeux de prendre une éventuelle raclée. C'est-à-dire qu'ils empruntent du courtier des titres d'autres clients (qui sont eux des investisseurs à long terme), à leur insu, pour les vendre et encaisser le produit. Bien sûr, ce produit constitue un emprunt. Sauf que les shorteux espèrent racheter à terme ces mêmes titres à un prix moindre que celui auquel ils les ont vendus. Ils pourront ainsi remettre les titres au courtier de qui ils les avaient empruntés. Comme le coût de rachat aura été moindre que le produit initial de la vente à découvert, la différence constitue leur profit.
Des profits de quatre milliards de dollars
Et, dans certains cas, les profits doivent être mirobolants. Je pense par exemple aux actions de Nortel dont les positions à découvert totalisaient presque toujours autour de 40 millions d'actions. Et ce, depuis que le titre s'échangeait autour de 100 $. Aujourd'hui, il ne vaut plus que 0,70 $ environ. Une dégelée de plus de 99 $ qui multipliée par 40 millions d'actions, donne un profit mirobolant de quatre milliards de dollars environ, pour les shorteux. Un profit supérieur à la capitalisation boursière actuelle de la compagnie.
Le même raisonnement vaut pour les actions de Bombardier dont les positions à découvert virevoltaient autour de 30 millions d'actions. Le cours de l'action est passé en un court laps de temps de 24 $ à 3,80 $ à la clôture de vendredi le 4 octobre. La différence de presque 20 $ donne un profit de près de 600 M$ pour les shorteux, soit 11 % de la capitalisation boursière actuelle de 5,3 milliards de dollars de l'entreprise.
Inquiétant, cela l'est. Nul doute que, dans le cas de Nortel, le sort du titre est entièrement entre les mains des vendeurs à découvert. Le cas de Bombardier n'est pas aussi dramatique, mais s'en rapproche dangereusement.
J'ose espérer que les cas de Nortel et Bombardier n'ont pas lieu d'être transposés à l'ensemble du marché. Car si cela doit être le cas, le marché boursier est carrément à la merci des shorteux et les indices n'ont pas alors fini de reculer.
Non seulement la situation est-elle inquiétante, elle est révoltante. Elle l'est pour l'investisseur à long terme qui voit, à son insu, d'autres investisseurs emprunter ses propres actions pour les jouer contre ses propres intérêts (en vendant les actions ainsi empruntées, les shorteux exercent une pression à la baisse sur le cours desdites actions). Chose qui ne serait pas possible si chaque investisseur à long terme prenait soin d'immatriculer les actions en son nom et de les déposer dans son coffret de sûreté à la banque. À mon avis, les ventes à découvert devraient être carrément bannies de notre système financier.
cchiasson@proplacement.qc.ca