Hors-jeu: Quelques exemples
Paraîtrait-il, messieurs dames, que nous traversons une grande période de sport. C'est ce qu'ils disaient à la télé en fin de semaine: on ne sait plus où donner de la tête ni prêter l'oreille — tout comme on ne sait toujours pas, d'ailleurs, pourquoi on donne de la tête alors qu'on prête l'oreille, qu'on emprunte une route secondaire et qu'on vole le deuxième coussin, mais il y a des choses faites pour ne pas être comprises. Bien sûr, nous traversons aussi une grande période dans l'ensemble de l'activité humaine, mais on s'en fout. Avec autant de sport, pas moyen de faire autrement.
Et encore n'a-t-on encore rien vu. Le week-end prochain, il y aura en même temps des séries de championnat de baseball majeur, du football américain de Ligue nationale, du vrai hockey pro avec pas d'obstruction et qui compte au classement, ainsi que l'indescriptible apothéose du dénouement de la saison de Formule 1, marquée tout du long par un suspense à la limite du supportable.(Du reste, selon mes sources judicieusement disséminées au fond du puits, le Grand Prix du Japon n'aura lieu que dimanche, mais Michael Schumacher et Rubens Barrichello ont déjà fini le parcours et sont en train de s'asperger de Baby Duck. Ils ont réalisé des chronos records tout en embarquant trois pouceux, en faisant un arrêt au Dunkin' et en prenant la route panoramique.)
En outre de quoi, comme on dit merci à l'Action de Grâces de nous faire cadeau d'un troisième jour loin des vicissitudes du travail salarié, on pourra se coucher très tard dimanche et s'ainsi offrir un show de caniches savants à RDS ou le Défi senior d'aquaplanage Mark Ten de Gianfriddo Beach. Je l'affirme sans relâche, la télévision est l'invention la plus importante du XXe siècle, elle a changé la face du monde tout en soulevant un tas de questions essentielles, comme celle-ci par exemple: non mais y a tu quelqu'un quelque part qui regarde ça?
Enfin. Passons aux choses moins importantes car j'ai épuisé mon quota d'italiques pour la semaine.
Ainsi y a-t-il une justice immanente. L'on l'a pu constater en moins de 24 heures lorsque les Yankees ont été éliminés et que les Twins ont remporté leur série. Précisons d'abord pour ceux qui viennent ici chercher des citations choisies de Teilhard de Chardin sans au préalable faire leurs devoirs dans le cahier d'exercices que les Yankees, c'est un peu comme le Mal s'il portait un uniforme de balle et mâchait de la gomme balloune: ils sont riches, ils sont baveux et ils ont des pouvoirs surnaturels. Tenez, par exemple, les Yankees peuvent modifier leur masse salariale sans même utiliser les mains: lisez un peu partout, vous verrez qu'elle est de 125 millions $US, oups non 140 millions, oups non 155 millions, et hier on la mettait à 175 millions.
Donc ou bien l'inflation se fait sacrément galopante aux States depuis qu'on a appris qu'il serait très difficile de renverser Saddam H. puisqu'il a 150 sosies sur lesquels s'accoter, ou bien c'est le gars d'Enron qui a été embauché pour faire les calculs après qu'on lui eut refusé de poser dans Playboy avec les filles de la compagnie (il avait nettement exagéré certaines statistiques personnelles).
Quant aux Twins, on pourrait parler d'un épiphénomène si seulement quelqu'un avait la moindre idée de ce que signifie ce mot et ne se contentait pas de faire une blague oiseuse ayant rapport au blé d'Inde (exemple: les plants de marijuana que l'on retrouve dissimulés au milieu de champs de maïs, aussi appelés pot corn, sont un épiphénomène). Les Twins sont l'espoir qu'un socialisme à visage humain balaie un jour le monde, ils sont le petit qui fait la nique au gros — d'où l'expression Mini-ssota. Les Twins devaient être dissous en même temps que nos Expos l'hiver dernier, mais il y a eu poursuite devant les tribunaux, ils ont obtenu un sursis, et leur sort a été réglé dans le sens de la vie lors de la signature de la convention collective entre propriétaires et joueurs il y a quelques semaines.
Vous dire, vous qui vous intéressez à ces choses, le commissaire Bud Selig a qualifié les succès des Twins d'«aberration». Mais selon mes sources si haut placées dans la société mondaine de Milwaukee qu'il leur arrive d'éprouver un léger vertige, Bud Light aurait plutôt prononcé ce mot, le premier de quatre syllabes de sa prestigieuse carrière, après s'être aperçu dans un miroir, plus précisément celui d'une salle d'essayage du Wal-Mart de Fond du Lac (Wisconsin) où il renouvelait sa garde-robe.
Évidemment, comme les plaisirs solitaires ont la réputation d'être suspects, il eût été infiniment plus agréable que cette belle poussée s'accompagnât d'une semblable chez nos Expos afin qu'ils se retrouvassent dans une Série mondiale M & M d'ex-moribonds, mais bon, on peut quand même faire dans la procuration. Il y a d'ailleurs de nombreuses réjouissances possibles dans ce monde de la balle si fascinant — ok, si vous n'êtes pas convaincus, faites le test: par exemple, regardez une manche à la télé, pas un match au complet, juste une manche, au masochisme nul n'est tenu à moins qu'il ne soit déjà attaché; comptez le nombre de crachats aperçus; si vous n'êtes pas fascinés, vous avez un problème au diagnostic duquel je n'oserais pas me colleter —, comme de voir les Braves d'Atlanta connaître une diminution marquée d'affluence cette saison et être incapables de faire salle comble pendant les séries.
Bien oui, c'est que les Braves viennent de gagner leur 11e championnat de division consécutif, et leurs partisans sont las de les voir gagner.
Tiens, Bud, une matière à réflexion qui n'a rien à envier à celles que propose mensuellement le Sélection du Reader's Digest, auquel mon abonnement à vie constitue la raison principale pour laquelle je me la souhaite longue, la vie: s'il y a aussi peu de monde dans le stade à Montréal, c'est peut-être parce que nous aussi, par exemple, nous sommes las de voir les Braves gagner?
À bien y penser, les réserves d'italique sont
inépuisables.