C'est la vie! - À trois kilos de l'empathie

Ma chère Dodo,
Comme deux millions de Québécois, j'ai appris la semaine dernière que tu allais garder ton bébé. Comme des milliers de parents et de grands-parents, j'ai eu le coeur serré pour toi, une sorte de joie irrépressible qui résonne jusque dans les entrailles d'une humanité défaillante. Peu importe si tu l'appelles Wal-Mart Bougon ou Pitt Bougon (c'est plus prolo que Chanel ou Vuitton), cet enfant sera aimé, entouré, cajolé, investi par un clan. Et les Bougon en seront peut-être quittes pour une solide métamorphose en buvant à même le calice de la véritable soif. Celle d'espérer.
Je te l'annonce, Dodo, ton maître va bientôt naître. Les bébés nous apprennent tout, surtout quand on se dépasse pour eux. On devrait leur décerner des médailles olympiques, leur élever des temples, leur inventer une faculté à l'université. Ce sont des profs imbattables. Ils nous enseignent à vivre au présent, à donner l'exemple, à devenir adultes, à poser un regard neuf sur la fibre usée de la matière, à aimer inconditionnellement, à nous abandonner, à négocier, à tolérer, à rester humbles et vulnérables, à sortir de notre égoïsme, à guérir de nos cicatrices. Ils nous apprennent la douceur de la véritable intimité et la liberté qui vient avec un attachement indéfectible. Ils arrivent même à souder les couples ensemble. Parfois.
Pour eux, on arrête de boire et de sacrer, et surtout, surtout, on ne veut plus flirter avec l'idée du suicide. Si, après tout ça, on ne leur décerne pas le prix Nobel de la vie, je ne sais pas de quelle idée géniale il faudrait encore accoucher!
Semer des racines
Tu ne me croiras peut-être pas, Dolorès, mais j'ai pensé à toi lorsque j'ai découvert le programme «Racines de l'empathie» qui s'est implanté au Québec l'automne dernier. Roots of Empathy est une initiative de la Torontoise Mary Gordon, qui a eu l'idée d'employer des bébés comme profs, de la maternelle à l'école secondaire, il y a dix ans. Une idée qui ne sent pas nécessairement la rose et qui peut régurgiter à tout moment mais qui a fait des petits jusqu'en Australie.
«Racines de l'empathie» est une pédagogie de l'espoir. Le programme s'appuie sur l'idée que si nous arrivons à embrasser la perspective de l'autre, nous pourrons apprécier nos points communs et ne pas laisser nos différences nous marginaliser ou engendrer la haine. S'il y en a une qui peut adhérer à ça, c'est bien toi.
Mary Gordon, elle, croit au magnétisme des enfants. Elle fait partie de ces idéalistes qui veulent changer le monde un enfant à la fois. En emmenant des bébés dans les classes et en les mettant en contact avec des enfants, elle table sur la filiation parent-enfant, sur ce lien naturel d'amour et d'empathie pour sensibiliser les enfants à l'intimidation, à l'agressivité, aux émotions vécues par l'autre. En s'identifiant au bébé, les enfants comprennent le langage non verbal, deviennent plus gentils entre eux, décodent mieux les émotions chez leurs semblables.
Un bébé fait ressortir notre douceur, l'amour à l'état pur. Dans le programme de «Racines de l'empathie», on installe un bébé de deux mois sur une couverture, au centre de la classe, et les enfants font cercle tout autour, assistent à son évolution autour de thèmes préétablis comme les pleurs, les soins, les émotions, le sommeil, la sécurité, le tempérament. La classe suivra les progrès du bébé durant les neuf prochains mois, s'émerveillera de ses efforts mais aussi de son ouverture au monde, sans jugement, en toute confiance. Devant un bébé, l'univers pose nu.
L'arbre à souhaits
J'ai eu un flash, ma Dolorès: je t'ai imaginée en bénévole de «Racines de l'empathie» avec ton mini Junior. Ils ont des monoparentales comme toi, des rastas, des punks, des parents de toutes les couches de la société avec leur sac à couches. Tu choisis une école de ton quartier et tu fais la demande auprès de la Fondation Chagnon, qui s'occupe du programme au Québec. On recherche des bénévoles qui oeuvrent dans leur milieu de vie pour que les enfants puissent recroiser ton mini Bougon au parc ou au dépanneur la fin de semaine. Dans les endroits où il y a de l'abus, de la négligence, voire de la violence, des études très sérieuses ont prouvé que «Racines de l'empathie» avait fait diminuer l'agressivité de façon tangible dans les classes. Les enfants sont davantage capables de nommer leurs émotions après avoir interagi avec le bébé-prof.
C'est pas un truc prêchi-prêcha, c'est de l'interaction directe. Et les bébés n'en ont rien à téter des compétences transversales des programmes du ministère de l'Éducation. Leur compassion à l'égard des enfants les plus pockés est toute naturelle. Plus d'une fois, on les a vus aller vers le petit rejet de la classe, le chien battu, l'épagneul triste.
Plus le bébé est petit, plus il est dépendant et plus il a le pouvoir de venir chercher notre instinct de protection. Tu verras, les bébés sont des magiciens.
À la dernière rencontre avec Ti-Pitt et la classe, les enfants lui préparent un arbre à souhaits. Ils écrivent sur chaque feuille de l'arbre un désir qui se réalisera quand le bébé aura leur âge. Des enfants de six-sept-huit ans expriment des choses toutes simples mais porteuses: «Je te souhaite que tu aies toujours une maison»; «Je te souhaite que ton papa ne fume pas»; «Je te souhaite que ta maman ne parte jamais en voyage»; «Je te souhaite que ta maman te lise une histoire chaque soir avant de te coucher»; «Je te souhaite que ta grand-maman ne meure pas»; «Je te souhaite d'avoir un chien».
Eh bien moi, à ton marmot, je lui souhaite un papa avec deux onces d'empathie dans son 40 onces de gin!
Joblo
cherejoblo@ledevoir.com
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Ceci n'est pas un blogue
La fille pour son plaisir choisit le matelot
Ça y est, les bagages sont fin prêts. Ce matin, monsieur B. et moi prenons l'avion pour Gaspé en compagnie de la comédienne Isabel Richer, de l'astronaute Julie Payette et de son petit Laurier de deux ans et demi. Nous allons nous joindre à la TDLG, la Grande Traversée de la Gaspésie qui cheminera à bord du traversier CTMA. C'est moi qui ouvre le parcours en traîneau à chiens demain matin à Maria. Trois cents kilomètres de ski en six jours: il y aura du beau mollet en vue et du matelot madelinot à bâbord comme à tribord. Nous irons faire du ski de fond aux îles de la Madeleine, où le sable blond a fait place à la poudre blanche, la «farine», comme dit monsieur B, le plus jeune passager à bord.
Dans mes bagages de «moumoune de Montréal», entre les cachemires, les toutous, le chocolat noir, les raquettes de ping-pong, l'harmonica et les couches: deux perruques, une mauve pour me métamorphoser en Dalida et une noire pour chanter Bref de Barbara, la Complainte de la butte reprise par Rufus Wainwright et la Complainte des infidèles de Mouloudji. L'accordéoniste Steve Normandin sera du périple et je me paye un rêve comme on en fait lorsque la mort nous fait des clins d'oeil: je me métamorphose en Castafiore de croisière sur le Saint-Laurent!
Vous pouvez suivre le périple de la TDLG sur le blogue www.brisebise.ca/tdlg à compter de demain et jusqu'au 25 février. Je vous raconte tout dès la semaine prochaine.
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Appris: qu'on pouvait se joindre comme bénévole ou instructeur à «Racines de l'empathie» en communiquant avec Stéphanie Dupont: sdupont@rootsofempathy.org, (514) 637-8876. Le programme fait partie d'un projet-pilote à Montréal cette année. 1581 classes et 40 000 élèves bénéficient des enseignements par les bébés à travers le Canada. www.rootsofempathy.org.
Reçu: un livre qui plaira à Dolorès Bougon, Coquelicots et autres puits d'amour (Kubik éditions), des variations plastiques d'après L'Origine du monde de Courbet, assorties de poèmes lubriques de Jean de la Fontaine (qui n'a pas écrit que des fables) à Ferré, en passant par Apollinaire. Dolorès Bougon s'apprête à écrire un livre intitulé Plotte, une autre variation plastique sur ce thème profond.
Découvert: les services de Premier Pas, une organisation de bénévoles qui aident les parents et les familles ayant un ou plusieurs enfants de cinq ans et moins par des visites à domicile. Besoin de conseils, naissances multiples, monoparentale, épuisée: toutes les raisons sont bonnes pour faire appel à eux; l'approche est axée sur l'empowerment et redonne confiance au parent dépassé. Pour les joindre: (450) 923-4138, premiers-pas@rocler.qc.ca, http://www.rocler.qc.ca/premiers. Ça prend un village pour élever un enfant... le voici!
Parcouru: Naissances (L'Iconoclaste), une série de récits d'accouchements par huit romancières. Ces moments inoubliables, tels que vécus par Marie Darrieussecq, Marie Desplechin, Camille Laurens et Catherine Cusset, font sourire ou émeuvent. Pour se préparer au grand jour. Ce que je donnerais pour lire Dolorès Bougon en post-partum.
Ressorti: Moutard mode d'emploi de Babette Cole (Seuil Jeunesse), le livre le plus trash sur la naissance et le mode d'emploi du bébé qui vient en deux modèles: bon et mauvais. Très Bougon.
Aimé: la réédition du livre de recettes Le Grand Livre de bébé gourmand d'Annabel Karmel (Guy Saint-Jean éditeur), avec plus de 200 recettes pour les bébés, des premières purées maison aux premiers satés de poulet. Simple, bien expliqué et varié, ce livre conviendra aux Dolorès de ce monde et leur apprendra le b.a.-ba de la nutrition des enfants. Jamais de bière avant 11h!
Écouté: Dre Nadia, psychologue à domicile (Canal Vie, jeudi à 19h30, dimanche à 20h30, mardi à 23h), qui réglait le cas d'un petit monstre de trois ans et demi cette semaine. Le père a un commerce de tatouages, la mère est à la maison et le petit s'est fait mettre à la porte de la garderie. La phrase la plus triste est venue de la maman: «Si j'avais su, j'aurais pas eu d'enfant», une variante de: «Si j'avais su, j'aurais pas venu». Dre Nadia a réussi à replacer les choses mais j'ai hâte de voir comment elle va s'en sortir chez les Bougon quand ils vont l'appeler à la rescousse.