Médias: CHOI, des auditeurs scrutés à la loupe

Une des retombées du grand débat autour de CHOI-FM depuis deux ans, c'est qu'on a rarement vu les auditeurs d'une station de radio autant scrutés, soupesés, analysés sous toutes les coutures. Les fans de Jeff Filion sont devenus des sujets de recherche scientifique!

Alors que le nouveau député indépendant André Arthur fera son entrée aux Communes, et qu'il entend relancer le dossier de CHOI au gouvernement, Le Devoir publiait jeudi dernier le résumé d'une étude réalisée par deux étudiants en maîtrise au département de sociologie de l'Université Laval, Jean-Michel Marcoux et Jean-François Tremblay, sur les auditeurs de cette station de Québec.

L'étude, un travail de près de 80 pages, est basée sur une série d'entrevues en profondeur menées à l'été 2004 auprès d'environ 150 auditeurs de CHOI-FM.

Une analyse des sondages de la firme BBM montrait déjà quelques données intéressantes. Ainsi, les trois quarts des auditeurs de CHOI-FM sont des hommes, et 37,5 % des auditeurs ont entre 25 à 34 ans. Ils sont 20 % entre 18 et 24 ans, et 22 % entre 35 et 44 ans.

Toujours selon les données BBM, la pénétration de CHOI-FM parmi la population (c'est la station de radio la plus écoutée à Québec, rappelons-le) est de 30 % chez les ouvriers de la région de Québec, de 40 % chez les employés des secteurs des ventes et de 40 % chez les étudiants.

Selon les chercheurs Marcoux et Tremblay, les auditeurs de CHOI qu'ils ont interviewés appartiennent à la lower middle class, avec un revenu un peu plus bas que la moyenne, des conditions d'emploi précaires et une faible possibilité de mobilité sociale. Environ 30 % sont syndiqués, ce qui est peu. D'ailleurs, plus des deux tiers de auditeurs se prononcent contre la présence, voire même l'existence des syndicats. Ils sont majoritairement dans le secteur privé dans une ville où domine le public, et l'opposition entre le public et le privé est souvent au centre des propos de ces auditeurs, tout comme l'opposition entre deux générations.

Parmi les 150 auditeurs interviewés, le tiers environ gagnent moins de 20 000 $ par année, mais ils se situent surtout entre 20 000 $ et 40 000 $. Dans une très grande proportion ils écoutent CHOI-FM plus de dix heures par semaine, et plus de la moitié des auditeurs affirment n'écouter jamais d'autres stations. On trouve même 23 % des répondants qui écoutent CHOI plus de 40 heures par semaine!

Ils sont 63 % à consommer des journaux, essentiellement Le Journal de Québec. TQS est leur chaîne de télévision préférée, suivi de TVA, ce qui ne correspond pas aux chiffres nationaux, où TVA domine, suivi de Radio-Canada et de TQS. Ils ont une grande soif de consommation, et ils sont fans du cinéma américain populaire.

Dans leur étude, Marcoux et Tremblay arrivent à la conclusion que ces auditeurs se situeraient «en marge du politique et au centre de la société de consommation». Ils seraient d'avantage «animés par l'attrait du consumérisme» que par une motivation sociale et politique quelconque.

Parmi ces répondants, 85 % affirment n'avoir jamais participé à aucune autre activité à caractère politique que celle concernant la sauvegarde de la station. Interrogés sur différents mouvements comme le Sommet des Amériques ou la Marche des femmes, tous ont indiqué leur indifférence, sinon leur opposition (y compris les répondantes féminines, qui ne se disent aucunement interpellées par la Marche des femmes).

Lien risqué

Un des résultats les plus étonnants de cette enquête concerne leur comportement électoral. L'enquête avait été réalisée à la fin de l'été 2004, et les deux chercheurs ont demandé à ces auditeurs pour qui ils avaient voté aux élections fédérales de juin 2004, ainsi qu'aux élections provinciales de 2003. D'abord, ils ont été 75 % à voter, ce qui est supérieur à la moyenne nationale. Ensuite, au fédéral ils avaient été 52 % à voter pour le Parti conservateur, 22 % pour les libéraux et 18 % pour le Bloc. Au provincial ils avaient appuyé l'ADQ à 67 %, les libéraux à 18 % et le PQ à 11 %. Des chiffres qui n'ont vraiment rien à voir avec les résultats généraux de ces élections, comme on le sait.

Les auteurs soutiennent que les auditeurs de CHOI s'alimentent essentiellement aux propos des animateurs pour bâtir un discours politique spontané, alors que la station, «cherchant à garantir sa survie, a recouru de manière tout à fait opportuniste à divers leviers politiques».

Il serait très risqué d'établir un lien direct de cause à effet entre le phénomène CHOI et le résultat électoral de lundi dernier dans la région de Québec. Dans Le Soleil de jeudi dernier, Réjean Pelletier, du département de sciences politiques de l'Université Laval, publiait un long article pour expliquer les multiples causes, selon lui, de la percée électorale des conservateurs dans sa région. Il remarque, entre autres, que Québec s'apparente encore à un gros village où tout le monde se connaît, et où l'on retrouve une dichotomie constante, entre le secteur public et le privé, entre la basse ville et la haute ville, entre ceux qui sont instruits et ceux qui ne sont moins. Cette dichotomie entraîne des rapports de haine et d'envie, soutient-il. «Ceux que l'on envie sont habituellement mal aimés. Ces gens sont alors la proie facile d'animateurs de radio qui alimentent cette haine à l'égard de la fonction publique, à l'égard de l'État, à l'égard de la haute ville, en somme de tout ce qu'il faut apprendre à détester: c'est un terrain idéal pour la droite.»

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