Éducation : des enseignants et chercheurs lancent un appel à la mutation

Tout se crée, tout se transforme, et le milieu de l’éducation devrait certainement être le premier à en prendre acte pour adapter sans plus tarder sa mission et ses façons de faire à la nouvelle réalité numérique vécue et façonnée par les générations montantes au Québec.
 
Pis, enseignants, dirigeants d’écoles, chercheurs en éducation, fonctionnaires doivent en choeur mettre de côté leurs réticences et préjugés face à la technologie pour s’ouvrir davantage aux nouveaux codes de la culture numérique et à cette connaissance désormais vaste et en réseau pour réinventer une pédagogie dans un présent en profonde mutation, estiment un groupe d’enseignants et de professionnels de l’éducation.
 
L’accélération de l’évolution technologique annonce beaucoup de choses pour le monde de l’éducation, mais ne devrait surtout pas convoquer l’inertie et le statu quo, estiment les auteurs du Manifeste pour une pédagogie renouvelée, active et contemporaine qui vient de faire son apparition. Sur le Web, forcément.
 
«Le modèle pédagogique que l’on qualifie de traditionnel, essentiellement magistral, a su répondre aux besoins de plusieurs générations, dont la nôtre», écrivent-ils. Mais ce modèle est aujourd’hui malmené par «un accès au savoir [qui] ne passe plus par le guichet unique qu’est l’enseignant», savoir qui se fait de plus en plus universel et mobile. «Les possibilités de formation dépassent largement les murs de l’école; d’où l’importance de développer un nouvel éventail de compétences informationnelles pour s’y retrouver et transformer ces savoirs en outils».
 
Des questions pertinentes
 
Le langage a des tonalités technocrates, mais les questions posées par le manifeste n’en demeure pas moins pertinentes : «Pourquoi évaluer [l’élève] en lui posant des questions auxquelles Google pourrait si facilement répondre», demandent les auteurs du manifeste qui estime que «l’ère du prêt à ingurgité est révolue», tout comme d’ailleurs la «pédagogie à taille unique» dont l’esprit et le cadre rigide ne peuvent plus répondre à la nouvelle complexité du monde.
 
C’est que pour faire face à un rapport à la connaissance, à l’information, à l’autre marqué par une révolution numérique en cours, le monde de l’éducation doit désormais entrer de plain-pied dans l’ère d’un enseignement mis à jour qui valoriserait autant la collaboration, que le partage et la construction des savoirs en groupe.
 
Dans ce contexte, le développement du sens critique chez les élèves devient également crucial face à des contenus de plus en plus diversifiés, jugent les signataires du manifeste initié par Marc-André Girard, directeur du secteur secondaire au Collège Beaubois de Pierrefonds et auteur d’un bouquin sur Le changement en milieu scolaire québécois (Éditions Reynald Goulet).
 
Créativité et dématérialisation
 
Le document propose d’encourager la créativité, la capacité d’innover des élèves qui désormais font face à une éducation «qui se vit au-delà des frontières physiques» d’une salle de classe. C’est ce qui arrive quand les lieux de rencontre, les espaces de socialisation sont désormais dématérialisés et surtout accessibles en tout temps.
 
«Les enseignants doivent laisser les élèves les surprendre, leur faire confiance, accepter une certaine dose d’inconnu, voire d’inconfort, et être moins directif», peut-on lire. Le manifeste parle également de ludifier l’apprentissage, de valoriser l’expérimentation en sortant de cette ornière dans laquelle la technologie est péjorativement qualifiée de «gadget» ou «phénomène de mode» pour la voir à l’avenir comme «un outil offrant une latitude pédagogique insoupçonnée».
 
L’objectif peut être atteint, selon eux, en combattant les résistances internes, mais également en luttant contre la précarité des jeunes professeurs et enseignants, précarité «inhérente aux débuts de carrière» et qui a souvent l’effet de limiter la créativité, l’initiative et l’innovation pédagogiques chez ceux et celles qui sont finalement le plus habilité à l’incarner. Joli débat en perspective.

L'incertitude comme moteur de création
 
Pour les auteurs du manifeste, «l’école occidentale, par son refus obstiné d’évoluer avec elle, n’est plus le reflet de la société qui lui a donné naissance». Une critique forte qui s’accompagne d’une réalité que l’école ne peut certainement plus ignorer : «Selon le Département du Travail des États-Unis, peut-on lire, 65 % des enfants actuellement sur nos bancs d’école une fois diplômés, pratiqueront des métiers qui n’ont pas encore été inventés au moment d’écrire ces lignes». Là-dedans, il va sans doute y avoir un emploi qui pourrait bien ressembler à quelque chose comme un enseignant.
 
Mais pour en arriver là, «l’école contemporaine se doit de développer des adultes qui se démarqueront par leur degré d’ouverture à la nouveauté, leur aptitude à gérer le changement et à s’y adapter ainsi que par leur capacité à tirer profit de l’incertitude que tout cela génère», poursuivent les auteurs du manifeste. Incertitude qui pour le moment dans certains milieux semble paralyser plus qu’elle ne met en mouvement.

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