L'émotion comme nouvelle forme de narration (Billet audio)

Il y a là certainement un petit effet de contagion. La communication très personnelle et émotive qui nourrit — et se nourrit de — notre nouvelle socialisation en format numérique est-elle en train de teinter les nouvelles formes de journalisme?

Possible, comme en témoigne le concept de Storytelling, ou communication narrative, qui, dans le milieu des médias, a désormais de plus en plus la cote.

Le mot est sans doute un peu valise, comme dirait l'autre. Il fait référence à ce principe, issu dans les années 80 du monde du management et de la science politique, qui vise à faire passer des messages plus efficacement en les enrobant dans des histoires séduisantes, à forte valeur émotive. L'émotion capterait en effet plus facilement l'attention et préparerait du coup plus facilement le terrain à la conviction et les esprits aux idées de changements, particulièrement en période de crise. «Sans bonnes histoires, il n'y a ni pouvoir, ni gloire», résume d'ailleurs Evan Cornorg, homme de média américain qui enseigne le journalisme.

Le pouvoir de narration influence l'imaginaire des individus, écrivait le philosophe français Michel Foucault. Il vient également de faire apparaitre dans le nouveau paysage médiatique, cet été, une étrange série radiophonique intitulée La fois où. Le concept? Des capsules en format court qui exposent des anecdotes puisées ici et là dans le quotidien de quelques quidams tout comme dans celui d'une poignée de journalistes et de documentaristes. Le personnel, le récit, l'émotion, dans un tout en un, quoi, livré en ligne, comme sur les ondes de Radio-Canada, et formaté pour être facile consommer, facile à partager, facile à commenter...

En vrac, depuis le début de l'été, on y retrouve l'anecdote d'une rencontre avec Patrick Roy dans un restaurant de Rimouski, d'un repas de requin pourri en Islande, d'une virée à Montréal pour un spectacle des New Kids on the Block ou encore celui d'une chute dans une fosse septique en Inde, à quelques minutes d'un rendez-vous amoureux.

Présentée comme «une série radio de courtes histoires vraies», La fois où vient du coup allonger la liste en cours de formation dans les coulisses comme sur les ondes de Radio-Canada de ces nouveaux programmes, qui se veulent en prise directe avec le présent, les réseaux sociaux, notre obsession de l'instant et du partage, et qui revendiquent une certaine appartenance à ce courant dit de la communication narrative. Histoires d'été de Julien Cayer, Histoires d'objets ou encore Entrez pour voir en font certainement partie.

Très de leur temps, ces concepts audios ne seraient-ils pas, toutefois, en train de faire entrer le principe du «human interest», ce journalisme superficiel obsédé par l'émotion, dans les univers numériques tout en invoquant le concept moins péjoratif dans plusieurs milieux journalistiques de storytelling?

Pis, dans le bruit et le brouhaha d'information qui composent désormais nos vies en ligne et en réseau, ce mode de narration se présente-t-il comme un remède idéal pour les anciens médias afin de se faire entendre? Ou bien est-il en train de «tracer les conduites», «d'orienter les flux d'émotion» tout en nuisant à ce besoin de profondeur, d'analyse et de mise en perspective de l'information qui permet de poser la démocratie sur des bases saines? Bref, l'appel au storytelling est-il un énième miroir aux alouettes dont l'humanité ferait bien de se méfier?

La réflexion méritait bien sûr plus qu'un format court. Elle a été amorcée aussi en compagnie de Xavier Kronström Richard, producteur de la série La fois où, mais également membre de l'équipe des réseaux sociaux de Radio-Canada, invité par le blogue Les Mutations Tranquilles à décrypter la tendance et à porter un regard critique sur ce concept et la façon dont le présent est en train de se l'approprier.

Laisser le temps à la parole, prendre le temps de faire long, pour parler de format court et de communication narrative: en voilà une drôle de narration... qui s'est mise en place dans un parc de Montréal, au milieu de juillet, alors qu'autour d'une table à pic-nic placé près de deux ou trois tables de ping-pong, des passants, des enfants, des citadins en auto et en camion exposaient toutes ces histoires personnelles qui finissent par raconter l'histoire d'une ville en mouvement. Une aventure résumée en 30 minutes dans cette balado intitulée Au parc avec XKR (Xavier Kronström Richard)...



Dans ce parc de Montréal, Xavier Kronström Richard avait apporté avec lui une petite pile de bouquins. Et bien sûr, il fallait savoir pourquoi...

À voir en vidéo