Mutations fiscales: la collecte des données numériques doit-elle être taxée?

La mutation en entraîne une autre. Alors qu'une nouvelle économie, reposant sur la collecte d'informations personnelles par l'entremise des réseaux sociaux et des habitudes de navigation des internautes, se met en place, des voix se font désormais entendre pour réclamer une mise en harmonie de la fiscalité des États avec cette réalité. Une idée en apparence simple, mais qui, dans les univers numériques, dévoile rapidement toute sa complexité. Forcément.

Taxer la collecte de données numériques? C'est la mutation fiscale que vient de proposer Nicolas Colin, inspecteur des finances en France et coauteur de l'Age de la multitude, un essai sur la nouvelle économie, celle qui prend racine dans une sociabilité en réseau et dans des environnements qui cultivent l'immatérialité.

Le projet n'est pas une sinécure, explique toutefois l'homme de chiffres dans les pages numériques de Libération puisqu'il vient interpeller directement la notion internationalement admise de «l'établissement stable». On résume: pour être taxée dans un pays, une entreprise doit y avoir une existence matérielle, un siège, une usine, des salariés... ce qui n'est plus souvent le cas, à l'heure de l'infonuagique — le Cloud computing, quoi —, des magasins en ligne et des moteurs de recherche mondialement utilisés à partir de serveurs informatiques installés quelque part dans le fin fond de la Californie.

Et pourtant, estime Colin, qui vient de produire un rapport et des recommandations à la demande du gouvernement français, toutes ces activités dématérialisées, qui se foutent du concept de frontières, d'espace et même de temps, sont en train de créer une nouvelle richesse qui, elle, échappe en grande partie aux règles actuelles de recettes fiscales. Des recettes qui, en s'adaptant au présent, croit-il, pourraient même venir mettre un peu d'ordre dans un secteur qui n'en a pas beaucoup.

Colin parle d'ailleurs du principe de prédateur-payeur qui devrait à l'avenir trouver sa place dans les mondes numériques, selon lui. S'inspirant du concept de pollueur-payeur exploité par les écologistes, l'idée est d'imposer une taxe aux collecteurs de données numériques — Facebook, Google, Amazon sont au nombre des très gros —dans l'espoir qu'ils en collectent moins, mais aussi qu'ils le fassent avec une plus grande transparence.

Reste que pour négocier ce virage, les autorités fiscales vont devoir faire bien plus que revoir leurs cadres, leurs pratiques et leurs perspectives, dit Colin, mais surtout cesser de regarder le numérique de loin, avec incompréhension et parfois mépris, comme elles ont pris l'habitude de le faire depuis l'éclatement de la bulle techno en 2001.

Les politiques se sont mis alors à croire que les nouveaux outils de communication ne généraient que du vent, pas d'emploi et surtout pas de croissance. «Il faut maintenant rattraper dix ans de retard et ramener le politique vers l'économie numérique», résume l'homme. Pour le bien commun.

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