Un disque dur en papier pour questionner la fragilité de la mémoire numérique

Imprimer les codes binaires d'une oeuvre numérique sur du papier pour lui permettre de survivre à la modernité. Voilà le projet un peu fou — et franchement décalé — de l'artiste français David Guez qui s'expose paradoxalement en ligne. Baptisée Disque dur papier, la chose cherche, en passant par l'art et la création, à faire réfléchir l'humanité sur les travers de son présent. Charmant.
L'artiste s'explique dans les pages numériques du quotidien Libération. Son idée a germé il y a quelques mois sur le site PopTronics où il a ouvert un service de «binarisation» de textes. Le principe: afficher les codes binaires d'un fichier PDF, afin de prendre conscience qu'un texte qui s'affiche sur un écran, c'est avant tout des lignes de code générées par une machine, mais également pour mesurer, une ligne de code à la fois, la fragilité de la mémoire du monde quand on la place dans cet univers.«Notre civilisation est en train de fabriquer sa propre disparition en installant sa mémoire numérisée, donc son histoire et par extension, son identité, sur un fagot de bois», résume Guez incité désormais à aller plus loin: sur une affiche, faite de papier, il vient d'imprimer l'ensemble des codes binaires de la Bible, « en réduisant la taille de la police à la limite du visible », explique-t-il et il s'attaque désormais à l'« éternisation », par le même procédé, de plusieurs grands textes mythiques, pour mieux questionner l'obsolescence programmée des médias et les pertes de mémoire collective que cela va forcément induire.
Récemment, il vient d'imprimer dans un bouquin les codes binaires du Voyage dans le lune de Miliès ainsi que de La Jetée de Chris Marker qui composent désormais un livre illisible pour l'humain, puisque composé de séries de « 0 » et de « 1 », de près de 1000 pages. Ouf.
Et Guez ne veut certainement pas en rester là. « Si j’arrive à le financer, [mon prochain projet] serait de réaliser l’impression binaire de la totalité du film 2001 : L’odyssée de l’espace, de Kubrick, explique-t-il. Ce qui correspondrait à une bibliothèque de 100 volumes de 800 pages qui ressemblera au monolithe présent dans le film. »
Pour cette proposition artistico-réflexive, qui cherche à poser sur papier nos dérives en format numérique, tout comme la confiance aveugle des humains dans la machine, il ne pouvait effectivement pas mieux choisir.