L’UNEQ, la communauté des solitaires

L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) a été fondée à l’automne 1976 dans le sous-sol de Radio-Canada par une quinzaine d’écrivains. Cela s’est fait quelques jours après « La rencontre québécoise internationale des écrivains » organisée par la revue Liberté, qui se tenait dans les Laurentides où, pendant trois jours, nous parlions de littérature autour d’une même table, entre les promenades et les parties de ping-pong.
La plupart des écrivains présents à Radio-Canada ce jour-là avaient participé à la rencontre dans les Laurentides. L’idée était venue de je ne sais plus trop qui, mais elle était sans doute inspirée autant par le désir de prolonger le plaisir du colloque, plaisir de rompre la solitude qui est le lot des écrivains, que du besoin de défendre nos intérêts.
Je n’ai assisté depuis qu’à une ou deux assemblées de l’UNEQ, mais j’ai eu le bonheur de fréquenter quelquefois la Maison des écrivains, un des rares lieux publics où je peux retrouver tous mes livres, pour participer à un événement littéraire, revoir ou découvrir des écrivains d’ici et d’autres de l’étranger (c’est là que j’ai pu rencontrer Le Clézio).
À cette rencontre de fondation de l’UNEQ, l’un d’entre nous a évoqué le danger peu probable des Unions d’écrivains dans les pays de l’Europe de l’Est et un autre, celui presque inévitable, de la bureaucratisation qui condamne tout organisme à devenir plus ou moins sa propre fin.
Le spectre des écrivains soumis au régime communiste ou payés par l’État n’était peut-être pas à écarter aussi rapidement, car l’argent peut être aussi contraignant qu’une idéologie. Je ne savais trop que penser de ce médecin, rencontré au même colloque, qui était devenu écrivain à plein temps grâce à un salaire versé par son pays (la Finlande, je crois).
J’imagine la tête de Jacques Ferron qui avait écrit une trentaine de livres sans abandonner ses malades et souvent sans se faire payer, tout comme ses professeurs d’antan qui enseignaient en plus de faire de la recherche sans recevoir de subvention. Je ne suis pas contre les bourses d’écriture accordées à ceux qui en ont besoin, mais je résiste à l’idée qu’écrire soit un métier comme les autres, un travail qui répond à des commandes autres que personnelles, intérieures.
Acte libre
Je n’ai rien contre les syndicats : j’ai fait partie de L’Union des artistes quand je vendais 8 minutes hebdomadaires de chronique littéraire à la chaîne culturelle de Radio-Canada ; j’ai fait partie de la Sartec quand je vendais mes scénarios à des maisons de production et j’étais bien content que ce syndicat me défende un jour contre un producteur qui refusait de me payer.
Je n’oublie jamais qu’écrire est un acte libre, gratuit, qu’aucun éditeur n’achète mes livres, qu’il les produit et les diffuse. Je suis reconnaissant à l’UNEQ d’avoir pris plusieurs initiatives, dont celle du programme des visites d’écrivains dans les établissements scolaires, la cession de nos droits pour une période limitée, l’annuaire des membres (je regrette la version papier !).
Je ne sais si c’est à « mon union » que je dois les chèques que je reçois de Copibec et ceux du Conseil des arts pour les droits de reprographie, mais je les reçois toujours avec plaisir, même si je suis de ces privilégiés qui peuvent s’en passer. Et quand je reçois de mon éditeur, tous les quatre ou cinq ans, un chèque qui dépasse 1000 $, je suis heureux qu’il soit encore dans les affaires, je me dis que, même s’il est sans doute plus riche que moi, c’est un « bon boss » qui ne devrait pas oublier cependant qu’il dépend de moi et qu’il a intérêt à faire tout ce qu’il peut pour me garder.
À la fondation de l’UNEQ, il allait de soi que cette union regrouperait des écrivains, l’écrivain étant une personne qui compose des oeuvres littéraires : « Tout auteur n’est pas écrivain », comme le rappelle Monique LaRue (« L’UNEQ et la Maison des écrivains », Le Devoir, 30 décembre 2022).
Très tôt, cette distinction a été abandonnée, sous prétexte qu’il peut être difficile de déterminer ce qui est littéraire, alors qu’il ne s’agit pas de déterminer la valeur littéraire d’un livre, mais sa nature. On comprend que représenter disons 500 écrivains ou 1600 auteurs ne confère pas le même poids politique à une organisation et entraîne des coûts d’administration plus élevés.
Longue vie à l’UNEQ, nécessaire trait d’union entre la communauté des solitaires et le marché du livre.