Le «droit» à un environnement sain dans la Charte québécoise - L'imposture

En novembre 2004, le gouvernement Charest annonçait l'éventuelle consécration du «droit» à un environnement sain dans la Charte québécoise. Considérant la force symbolique de cette dernière, il est compréhensible que cette nouvelle ait été accueillie favorablement au sein de la population.

Si séduisante cette modification à la Charte puisse paraître, il n'en demeure pas moins que, compte tenu des limites qu'elle comporte, elle n'instituera aucun véritable «droit à l'environnement», contrairement à ce que laissait entendre le ministre Thomas Mulcair devant les médias.

Les limites au «droit» à l'environnement

Révélateur à cet égard, le texte du futur article 46.1 énonce que «[t]oute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité». D'autres dispositions socio-économiques de la Charte emploient des termes similaires, notamment les articles 40 et 45 qui affirment respectivement le droit de «[t]oute personne [...], dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l'instruction publique gratuite» et le droit de «[t]oute personne dans le besoin [...] à des mesures d'assistance financière et à des mesures sociales, prévues par la loi, susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent».

Ces références aux normes prévues par la loi ont été interprétées par les tribunaux comme des limites intrinsèques à la portée des articles 40 et 45. Cela signifie que ces dispositions, comme ce sera certainement le cas de l'article 46.1, ne peuvent devenir effectives que par l'adoption d'une loi, c'est-à-dire que l'étendue de la protection réelle qu'elles accordent aux individus dépend uniquement et nécessairement de ce que prévoit la loi et n'ont, en soi, aucune signification juridique propre.

Le «droit» à l'environnement devra par ailleurs être lu en corrélation avec l'article 52 de la Charte, lequel accorde une primauté à certains droits (notamment les libertés fondamentales et le droit à l'égalité) sur les dispositions contraires des autres lois québécoises d'où, selon la Cour suprême, leur statut «quasi constitutionnel». En cas de non-respect, ils sont ainsi susceptibles de constituer la base d'un recours juridique et mener, finalement, à l'invalidation de lois québécoises qui leur portent atteinte.

Le législateur québécois a cependant sciemment omis d'accorder un tel effet aux droits économiques et sociaux, dont fera parti le «droit» à l'environnement, qui ne disposent donc d'aucune supériorité par rapport à la législation québécoise.

Un énoncé symbolique

Constatant cette «double limitation», les tribunaux en ont conclu, de façon générale, que les articles 40 et 45 ne consacraient pas de véritables droits de la personne mais faisaient plutôt figure d'énoncés symboliques. Ceux-ci estiment en effet qu'ils ont le pouvoir de constater et de déclarer judiciairement la violation de ces droits, mais que leur mise en oeuvre est une question purement politique.

Par exemple, si les mesures d'aide sociale adoptées par le législateur ne sont pas «susceptibles [d']assurer un niveau de vie décent» tel que le prévoit l'article 45 de la Charte, les tribunaux ne peuvent rien faire d'autre que de le déclarer symboliquement dans un jugement sans pouvoir contraindre juridiquement l'État à s'y conformer.

De même, les recours qui pourraient être institués afin de faire vérifier judiciairement si les normes établies par la Loi sur la qualité de l'environnement ou les objectifs fixés en vertu de la Loi sur le développement durable respectent le «droit [...] de vivre dans un environnement sain [...]», se solderont vraisemblablement soit par un échec ou, tout au plus, par une simple déclaration constatant la violation de l'article 46.1.

Il s'agit, vous en conviendrez, d'une source d'espoir ou d'une consolation bien mince. Malgré les effets symboliques ou la pression politique que pourrait exercer un jugement déclaratoire sur le gouvernement, le justiciable qui intente un recours devant les tribunaux recherche d'abord un résultat concret dont les effets se feraient sentir de façon palpable dans sa vie. À cet égard, l'exemple le plus frappant à ce jour demeure sans doute l'affaire Gosselin dans le cadre de laquelle une personne ne recevant que 170 $ d'aide sociale par mois pour (sur)vivre, s'est en vain adressée aux tribunaux afin d'obtenir justice.

En assujettissant le caractère opérationnel et le contenu normatif de l'article 46.1 à la loi, le ministre Mulcair n'était pas sans savoir que les modifications projetées à la Charte québécoise par son avant-projet de loi n'allaient pas y consacrer un véritable «droit» de tout citoyen à un environnement sain. Ce droit, ainsi que ses limites, est d'ailleurs déjà prévu dans la Loi sur la qualité de l'environnement qui énonce que «[t]oute personne a droit à la qualité de l'environnement [...] dans la mesure prévue par la présente loi [...]».

N'ajoutant rien de neuf à ce que cette dernière loi prévoit déjà, l'«énoncé symbolique» que représentera l'article 46.1 ne fera au mieux qu'indiquer que la société québécoise accorde une certaine importance à la qualité de son environnement.

Pour pouvoir prétendre à la reconnaissance d'un véritable droit de la personne à l'environnement, le futur article 46.1 devrait plutôt être libellé ainsi: «Toute personne a droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité.» Sans cette modification, toute autre tentative pour faire croire à l'inclusion du «droit à l'environnement» dans la Charte québécoise relève, avec respect, de l'imposture intellectuelle destinée à se faire du capital politique ou à se donner bonne conscience.

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