Les Voleurs d'enfance - Une charge sans nuances, dit la DPJ
Les nombreux cris d'alarme lancés par Paul Arcand dans son documentaire Les Voleurs d'enfance, les centres jeunesse ont été les premiers à les porter sur la place publique. S'ils sont «ravis» de revoir de nouveau ces questions au centre de l'actualité, ils s'inquiètent toutefois des retombées de cette charge «sans nuances» sur leur réseau déjà passablement fragile.
Qualifiant de «brutal» le point de vue présenté par ce documentaire, le directeur général de l'Association des centres jeunesse a revendiqué hier un droit de réplique. «M. Arcand a sciemment éliminé tout ce qui a l'air d'une réussite. Nous nous interrogeons sur la pertinence de ce choix et nous réclamons le droit de faire des nuances», a dit Jean-Pierre Hotte. La détresse et la violence racontées dans ce documentaire sont réelles, la DPJ ne les nie pas. Mais elle estime que l'absence de réponses à toutes les questions qu'il soulève peut faire plus de mal que de bien aux enfants. «Nous n'avons pas besoin d'un coup de poing, mais d'un coup de main», a fait valoir hier le directeur du Centre jeunesse de Montréal, Jean-Marc Potvin.En ne montrant que le revers de la médaille, Paul Arcand risque même de miner le seul filet de sécurité dont les jeunes disposent au Québec, estime pour sa part le directeur de la protection de la jeunesse du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Gilbert Gagnon. «J'ai peur que ce documentaire nous fasse perdre nos avancées et j'ose espérer qu'il n'aura pas pour effet de limiter le signalement et de priver les enfants de notre aide», a-t-il dit, en invitant les gens «à faire confiance au système».
Mais la sortie du documentaire sur 50 écrans à travers le Québec, vendredi, risque fortement de l'ébranler. Et c'est tant mieux, estime son réalisateur, qui juge que c'est là précisément le rôle du documentaire. «Un documentaire n'est pas là pour faire des nuances. [...] J'ai tendance à y aller avec la manière forte, mais c'est en même temps pour dire: je pense que ça n'a pas de bon sens!», avait confié Paul Arcand à Radio-Canada, le soir de la première.
Difficile en effet de rester insensible devant les salles d'isolement et les mesures de contention prises par les intervenants, celles-là mêmes qui ont mené Québec à rendre des comptes à l'ONU cet été. Pourtant, ce sont là des nécessités, a précisé le directeur général du Centre jeunesse de la Montérégie, Camil Picard. «On ne peut tout simplement pas mettre la clé dans la porte des unités d'isolement sans avoir recours à la camisole chimique, et ça, on le refuse.»
Impossible non plus de ne pas s'interroger devant les multiples ballottements auxquels plusieurs enfants sont soumis. Pour y mettre un frein, la DPJ voudrait pouvoir faire fi du sacro-saint droit des parents. «L'enjeu de la stabilité est crucial. Cela suppose des choix difficiles. [...] Sommes-nous prêts à prendre des décisions plus définitives? Je crois qu'il faut en avoir le courage», a expliqué Jean-Marc Potvin, en invitant la société québécoise à se positionner clairement en ce sens.
Donner la priorité à la stabilité de l'enfant est une avenue qui a également reçu l'aval du ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard. «L'argent n'est pas la seule réponse, il faut également ajuster le cadre législatif et la philosophie qui sous-tend la loi qui date de 25 ans», a-t-il dit hier.
Toutes ces remarques font dire à la DPJ que le débat doit se faire avec ses artisans et non contre eux, parce que ce sont eux qui en connaissent le mieux les rouages. «Nous sommes prêts à améliorer le système. Nous en connaissons les moyens et nous aurons une occasion en or de le faire avec le dépôt de la loi cet automne», a rappelé hier Jean-Pierre Hotte.
C'est aussi l'avis du premier ministre Jean Charest, qui a invité toutes les parties à élargir le débat. «Mon souhait est que l'on puisse aussi voir tout le portrait de ceux et celles qui livrent des services et — sans avoir vu le film — ma préoccupation est de m'assurer que les hommes et les femmes qui livrent ces services, sur qui nous comptons, puissent aussi être appuyés dans ce qu'ils font», a-t-il déclaré à l'occasion d'un bref point de presse.
Inviter à faire des actions concrètes, le premier ministre a rappelé le dépôt prochain de la nouvelle mouture de la Loi sur la protection de la jeunesse, point d'orgue d'une série d'actions qui ont déjà porté leurs fruits. «On a déjà agi, on a réinvesti 37 millions sur une base annuelle depuis notre élection, on a réduit le nombre d'enfants par intervenant de 27 à 23, on a réduit le temps des délais pour les évaluations de plus de 50 % et de plus de 30 % pour les enfants qui reçoivent des mesures.»
En attendant la révision de la loi, l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec estime qu'il faut aller au-delà de la simple dénonciation et réclamer les correctifs nécessaires immédiatement.
Pour cela, il faut aussi une première ligne disponible, souple et efficace. «Pour s'attaquer véritablement à la racine du problème, il faut offrir aux jeunes et aux familles la possibilité de recevoir de l'aide quand ils en ont besoin plutôt que d'attendre que la situation dégénère», a précisé son président, Claude Leblond.
L'idéal serait que chaque centre jeunesse puisse compter sur une équipe de médecins, d'infirmières, de psychologues et de psychiatres à temps plein pour réellement répondre aux besoins des jeunes, ont dit du même souffle les centres jeunesse.
Ceux-ci ont également profité de la tribune offerte par le lancement de ce documentaire pour faire valoir la nécessité d'élargir le projet-pilote Qualification des jeunes qui, pour le moment, permet à quatre centres jeunesse d'accompagner 80 jeunes dans leur apprentissage de la liberté, une fois la majorité venue.