Belgique: chronique d'une mort annoncée
Depuis quelques mois, les célébrations du 175e anniversaire de la Belgique battent leur plein et culmineront ce 21 juillet, jour de la fête nationale. Or, dans le même temps, cet anniversaire suscite de nombreuses interrogations sur l'avenir du pays. La question récurrente est de savoir si la Belgique fêtera ses 200 ans. Ce qui peut apparaître comme un paradoxe témoigne d'une crise profonde que traverse le pays depuis plusieurs années. En effet, alors que le fédéralisme (dont on fête également les 25 ans cette année mais qui ne fut inscrit dans la Constitution qu'en 1993) était censé pacifier les relations entre les deux grandes régions du pays, il est évident qu'il ne représente pas un remède contre l'éclatement de la Belgique. À cet égard, le 11 juillet dernier, à l'occasion de la fête de la Communauté flamande, le président du gouvernement flamand a constaté l'échec du modèle fédéral belge. Selon lui, le fédéralisme de coopération entre les différentes entités de la Belgique a cédé sa place à un «fédéralisme centrifuge». Un récent ouvrage d'Alain Maskens se penche sur cet «État contemporain qui redessine ses frontières régionales historiques de manière à promouvoir la construction artificielle d'entités territoriales linguistiquement homogènes» mais où finalement «on ne peut ignorer que la nature des institutions actuelles de l'État belge fait de celui-ci un modèle à rejeter». Une brève revue de presse des manchettes des principaux journaux atteste du climat délétère ambiant: «Belgique - België: terminus», «Assez de rustines», «Pourquoi cette fois c'est vraiment grave?», ou encore «La Belgique ne tient plus qu'à un fil».
Ainsi, 175 ans après la création de la Belgique, l'union entre les Flamands et les Wallons semble être consommée. Même si le couple dort encore dans le même lit, il y a bien longtemps qu'il ne fait plus le même rêve. Les forces centrifuges gagnent du terrain. Leurs points de vue prennent de l'ampleur et reflètent les aspirations de la population. Ainsi, le courant indépendantiste, majoritaire au Parlement flamand, dicte l'agenda du gouvernement fédéral en matière d'autonomisation de la fiscalité, de la sécurité sociale, de l'emploi, etc. Dans ce contexte, il devient de plus en plus difficile de gouverner la Belgique puisque la plupart des discussions politiques achoppent, tôt ou tard, sur une tension communautaire — ce terme désigne les relations entre les communautés linguistiques — qui frise la scène de ménage. Actuellement, la Belgique est coincée dans un cul-de-sac où il n'est pas possible de faire marche arrière. Le seul dénouement semble donc être la disparition programmée du pays. Les solutions en cas d'éclatement du royaume sont différentes dans les trois régions du pays.«Een Vlaanderen Staat in Europa»
La population flamande représente environ 60 % des 10 millions de Belges. Elle domine la vie politique (le dernier premier ministre francophone remonte à 1975) et économique de l'ensemble du pays. Le mouvement flamand, né de revendications culturelles, ambitionne dorénavant la constitution d'une république de Flandre indépendante. La principale motivation de ce choix est que «la Belgique n'est plus une valeur ajoutée pour la Flandre», selon l'expression d'Hugo Schiltz, ministre d'État. Au sujet de cette évolution, Alain Maskens estime qu'il faut s'inquiéter de la radicalisation du mouvement flamand, «car ce modèle fait le lit du nationalisme dans ce qu'il a de préoccupant: un nationalisme basé sur des sentiments d'appartenance culturelle, ou ethnique, un nationalisme fondé sur l'illusion de la pureté et de l'homogénéité des communautés humaines, un nationalisme mono-identitaire». À cet égard, mentionnons seulement le fait que les partis flamands empêchent la ratification de la convention européenne pour la protection des minorités nationales — c'est-à-dire des francophones — malgré plusieurs recommandations formulées par les observateurs du Conseil de l'Europe qui sont venus constater la situation sur place.
La Wallonie française
Du côté wallon (3,3 millions d'habitants), le choix concernant l'avenir du pays est moins tranché. Si 55 % des Wallons affirment ne pas avoir peur de l'éclatement de la Belgique, le consensus n'existe pas sur l'alternative pour son avenir. En effet, le mouvement wallon est, depuis sa fondation, partagé entre un courant indépendantiste et un courant réunioniste, c'est-à-dire en faveur d'une réunion de la Wallonie à la France. Selon un sondage réalisé en 2003, cette option est majoritaire en Wallonie, où 36 % des personnes interrogées se déclarent favorables à la réunion à la France, alors que 14 % optent pour une Wallonie indépendante. L'option réunioniste a été clairement présentée au Parlement fédéral en 1996 par un député socialiste excédé de l'attitude des partis flamands. Claude Eerdekens les a mis en garde en affirmant: «Nous, Wallons, sommes fiers de nous trouver à côté d'un grand pays comme la France. Si vous voulez que la France se trouve aux portes de Bruxelles, alors, allez-y.» Depuis lors, un parti, le Rassemblement Wallonie-France, dont le nom est un programme en soi, a vu le jour dans le but de sensibiliser la population à cette éventualité et de nouer des relations avec les autorités françaises. Selon plusieurs déclarations, il semble que, le moment venu, la France accueillera les Wallons sur la base de la doctrine formulée par le général de Gaule, qui stipule que, «si un jour une autorité politique représentative de la Wallonie s'adressait officiellement à la France, ce jour-là de grand coeur nous répondrions favorablement à une demande qui aurait toutes les apparences de la légitimité [...] La politique traditionnelle de la France a toujours tendu à rassembler dans son sein les Français de l'extérieur. La Wallonie a été exclue de ce rassemblement par un accident de l'Histoire. Elle a pourtant toujours vécu en symbiose avec nous».
La pomme de discorde bruxelloise
Pour conclure ce panorama de la situation, il est nécessaire de mentionner le cas particulier de Bruxelles (un million d'habitants). Cette ville-région, siège des institutions européennes, est peuplée à 90 % de francophones et enclavée en Flandre. Cependant, le mouvement flamand aspire à intégrer cette ville dans son futur État. Cela ne semble pas être du goût de ses habitants, comme l'atteste un sondage réalisé, il y a quelques semaines, par le quotidien Le Soir, qui révèle qu'en cas d'éclatement de la Belgique, 67 % des Bruxellois opteraient pour l'autonomie, 25 % préféreraient partager leur avenir avec la Wallonie et seuls 5 % envisagent un rattachement à la Flandre. Certains affirment que, lorsque les Flamands renonceront à Bruxelles, les jours de la Belgique seront véritablement comptés puisque, selon l'ancien ministre François Perrin, Bruxelles constitue la «Jérusalem» du mouvement flamand.
Quelques jours avant que le roi et la reine inaugurent l'exposition Made in Belgium, retraçant l'histoire de la Belgique, le président du Parti socialiste francophone a proposé l'organisation d'un référendum sur l'avenir du pays avec une question simple: «Voulez-vous préserver l'unité du pays?» Devant les réactions du monde politique incrédule, Elio Di Rupo s'est rétracté. Cet événement est loin d'être anecdotique puisque le PS francophone s'est montré très unitariste ces dernières années et que le refus d'un référendum est venu principalement des partis francophones. La majorité des partis flamands, quant à eux, étaient partisans de cette proposition référendaire, même si pour certains la question de la survie du pays ne se pose même plus. L'heure d'un choix définitif se rapproche inexorablement et la Belgique apparaît, plus que jamais, comme un pays en sursis.
Pour en savoir plus:
Bruxelles et les faux semblants du fédéralisme belge, Alain Maskens, Le Roseau vert, Bruxelles, 2004.
Les Conflits communautaires en Belgique, André Leton et André Miroir, PUF, Paris, 1996.