Metro bouffe A&P

Enfin! Metro fait une importante et très grosse acquisition, celle des 236 magasins A&P en Ontario, au coût de 1,7 milliard de dollars. D'un seul coup, le chiffre d'affaires de Metro bondit de 6,1 milliards à 10,5 milliards, le nombre de ses employés passe de 33 000 à 65 000 et son actif fait un bond spectaculaire de 2,5 milliards pour totaliser quatre milliards.

Pierre H. Lessard, président et chef de la direction de Metro, rayonnait de bonheur et de fierté en arrivant dans la salle du Ritz-Carlton, où il a donné sa conférence de presse. «C'est le fruit de 15 ans de travail. C'est un jour historique», s'est-il permis de dire aux journalistes, lui qui habituellement est très réservé dans ses commentaires. Tout son entourage chez Metro partageait d'ailleurs ce bonheur avec lui.

Ça faisait sept ans que les dirigeants de Metro discutaient avec les gens d'A&P et espéraient conclusre une grosse acquisition, a d'ailleurs souligné M. Lessard. Cette transaction donne à Metro une part de marché de 16 % dans la distribution alimentaire au Canada, mais il demeure tout de même au troisième rang, après Loblaw et Sobeys. Toutefois, déjà au second rang au Québec, Metro y occupera désormais une place identique en Ontario, avec une part de marché de 24 % pour l'ensemble de la province et même de 30 % dans le Grand Toronto grâce à une centaine de magasins dans un environnement démographique et économique en forte croissance.

Cette région fut du reste un élément important dans la décision, de l'aveu d'Éric Richer La Flèche, vice-président exécutif et chef de l'exploitation de Metro. M. Lessard a dit avoir payé un prix «très élevé» pour cette acquisition mais qu'à tout considérer, ce fut «une bonne acquisition, au bon moment et au bon prix». Cette transaction de 1,7 milliard est payée 1,2 milliard comptant, mais en partie financée par un syndicat formé d'institutions bancaires, dont ne fait aucunement partie la Caisse de dépôt et placement du Québec, laquelle détenait 4,6 millions d'actions de classe A à la fin de 2004.

Pour compléter la transaction, il y aura 500 millions de dollars payés sous forme d'actions A subalternes de Metro au vendeur, GAP, c'est-à-dire la société américaine The Great Atlantic & Pacific Tea Co., propriétaire de la filiale A&P en Ontario. Lorsque la transaction sera conclue, ce qui devrait survenir au mois d'août, une fois toutes les autorisations données par les autorités réglementaires, Metro émettra 18 millions de nouvelles actions subalternes pour les remettre à GAP, qui détiendra dès lors environ 15,8 % des actions de Metro et 14,1 % des droits de vote. Il aura droit en outre à deux représentants au conseil d'administration.

À la suite de la dilution découlant de cette émission, Jarislowsky-Fraser demeurera l'actionnaire le plus important, avec un bloc de 17 % au lieu de 20 %, Fidelity aura 10 % des actions au lieu de 12 % et le Regroupement des marchands actionnaires en aura moins de 5 %. Guy Pelletier, président du Regroupement, était incapable hier de donner le pourcentage exact, expliquant avoir appris la nouvelle par les médias et ajoutant qu'il lui restait à connaître les détails de la transaction. L'émission de 18 millions d'actions à la clôture sera basée sur un prix de 27,66 $ par action. Le nombre d'actions émises sera ajusté à la hausse ou à la baisse si le cours du titre a fluctué de plus de 25 % pendant une période de référence précédant la clôture.

Dès hier, la réaction des investisseurs a été instantanée et sans équivoque. Le titre de Metro à la Bourse de Toronto a fait un bond significatif de 13,64 % pour clôturer à 31,25 $, en hausse de 3,75 $. Plus d'un million d'actions de Metro ont été transigées. En revanche, l'action de Sobeys (enseigne IGA au Québec) a connu une baisse de 3,03 $, ou de 7,37 %, et celle de Loblaw a régressé de 83 ¢, ou de 1,14 %.

Le marché semblait s'attendre à ce que l'acquéreur de A&P soit l'un ou l'autre des deux grands rivaux de Metro. Tous les analystes qui ont commenté la décision de Metro hier étaient unanimes à dire que Metro a effectué une excellente acquisition en payant en moyenne sept millions par magasin, alors qu'il aurait fallu payer 10 millions pour en construire un nouveau, à supposer que l'emplacement aurait été disponible. L'agence de notation Standard & Poors a baissé un peu la cote de crédit de Metro, qui se retrouve avec une dette alors qu'elle n'en avait aucune, mais en lui laissant quand même la cote BBB de catégorie dite «investissement».

Par ailleurs, pour assurer une certaine stabilité dans la valeur du titre de Metro sur le marché boursier, l'entente annoncée hier prévoit un moratoire pour une période de cinq ans au cours de laquelle GAP ne pourra pas acheter d'actions de Metro; il pourrait cependant en vendre mais devrait d'abord les offrir à Metro.

En plus de la valeur des actifs de A&P, M. Lessard dit avoir été très impressionné par la qualité de l'équipe de direction et de gestion de cette filiale ontarienne d'une société américaine. Les gens de Metro ont procédé à une vérification diligente pendant trois mois de tous les magasins acquis. Ils ont pu constater que cette chaîne avait une stratégie très semblable à celle de Metro, mettant l'accent sur les produits frais et les marchés d'escompte.

Ils ont pu constater qu'il y aurait très peu de changements à apporter, puisque les magasins d'A&P et les 43 Loeb et Super C que Metro possédait déjà en Ontario ne sont pas, ou très rarement, en concurrence. Il y aura des ajustements à faire en ce qui concerne les directions de ces deux groupes. A&P demeurera une filiale avec un bureau-chef à Toronto. Enfin, ils en sont arrivés à la conclusion qu'une fois l'intégration complétée dans deux ans, il y aura une synergie suffisante pour générer des économies annuelles de 60 millions, notamment en réduction de coûts d'acquisition de marchandises, de distribution, de marketing et d'administration.

Par surcroît, en comparant leurs meilleures pratiques, Metro et A&P pourront devenir plus forts. «Ce sont deux entités régionales très fortes qui donnent un nouveau Metro, une entité nationale», proclamait M. Lessard. Comme il reste au Canada une seule autre entité régionale, soit Safeway dans l'Ouest, Metro serait-il intéressé à en faire l'acquisition? Il n'est évidemment pas question d'effrayer les banquiers pour l'instant, mais M. Lessard a fini par admettre que Metro est désormais mieux placé pour envisager un tel scénario éventuellement. En attendant, Metro se donne deux ans pour compléter l'intégration de A&P et prévoit investir dans la modernisation et l'agrandissement de ses magasins actuels 300 millions par année, sans compter l'argent que ses marchands-actionnaires entendent investir eux-mêmes.

Dans le flot des réactions à cette importante transaction, il y a celle plutôt nuancée de l'Union des producteurs agricoles, qui s'inquiétait déjà des débouchés pour les produits de la ferme dans les chaînes de distribution qui sont de plus en plus grandes et hors du Québec. Metro reste la seule qui soit complètement implantée au Québec, du moins jusqu'à maintenant. «Il y aura des occasions intéressantes pour les producteurs qui ont de plus grands volumes de production, si bien sûr toutes les nouvelles enseignes sont intégrées dans un même réseau de distribution. Ce n'est pas encore évident au moment où l'on se parle», a déclaré Laurent Pellerin, président de l'UPA.

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