Le juge en chef du Québec ne veut pas de juges souverainistes

Ottawa — Le juge en chef de la Cour d'appel du Québec, Michel Robert, a affirmé hier que les souverainistes ne devraient pas occuper la fonction de magistrat dans le système de justice fédéral, soit à la Cour d'appel du Québec, à la Cour supérieure du Québec, à la Cour fédérale et à la Cour d'appel fédérale. Selon le juge Robert, les avocats souverainistes ne devraient pas monter en grade puisqu'ils «n'adhèrent pas au système fédéral canadien» et que c'est «dans ce système-là qu'on opère». Outré, le Bloc québécois a immédiatement réclamé la démission du juge et porté plainte au Conseil canadien de la magistrature.

Sur les ondes de la radio de Radio-Canada, le juge Michel Robert a déclaré que les avocats doivent «normalement adhérer au système fédéral canadien parce que c'est dans ce système-là qu'on opère». «Moi, je n'ai rien contre quelqu'un qui veut changer le système canadien en un autre système; ça, il est parfaitement libre de le faire. Mais je ne pense pas qu'il devrait exercer des fonctions judiciaires», a-t-il poursuivi.

Joint par Le Devoir, le juge Robert n'a pas contredit ses propos mais a tenu à apporter certaines «précisions». «Quelqu'un qui fait la promotion active d'une option politique ne peut pas être juge, c'est ça que je veux dire. Mais on ne fait pas d'enquête sur les opinions politiques des avocats lorsqu'on dresse la liste des candidats potentiels aux postes de magistrat. Ça ne compte pas. L'examen des candidatures ne contient pas de critère politique, c'est seulement basé sur le mérite», a-t-il souligné. Le juge Robert rappelle toutefois que les magistrats doivent «prêter serment» et appliquer «la Constitution canadienne en vigueur».

Le juge en chef du Québec avoue qu'une fois établie la liste des candidats, c'est ensuite au cabinet du ministre fédéral de la Justice et au bureau du premier ministre du Canada de décider qui deviendra juge. «Ce sont eux qui choisissent, dit-il. Est-ce que les politiciens font leurs choix en regardant le penchant politique des avocats, je ne sais pas. Mais dans certains cas, peut-être.»

Henri Brun, professeur de droit constitutionnel à l'Université Laval, en est certain. «C'est un constat, ce sont des faits, ce n'est pas un jugement. Si un avocats a des allégeances indépendantistes connues, ses chances d'être nommé juge au palier fédéral sont quasi nulles», affirme-t-il.

Selon M. Brun, les avocats sont moins souverainistes que les autres tranches de la population québécoise ou alors ils l'affichent moins, justement parce qu'il y a «discrimination sur la base des convictions politiques» dans les hautes instances fédérales. «Ça affecte un peu moins de la moitié des avocats du Québec, mais tous savent qu'il faut se rapprocher du Parti libéral du Canada pour devenir juge», lance-t-il.

Henri Brun est content de voir qu'un magistrat de la trempe de Michel Robert abonde dans le même sens que lui puisque c'est «une évidence», dit-il. «[L'opinion du juge Robert] a peu d'importance en réalité puisque ce n'est pas lui qui décide de la nomination des juges à Ottawa. Il faut apprécier sa franchise.»

Visiblement, le Bloc québécois, lui, n'a pas apprécié le franc-parler du juge Robert. La formation souverainiste a porté plainte hier au Conseil canadien de la magistrature (CCM) à la suite des propos qu'il a tenus à Radio-Canada. Le Bloc estime que le juge a violé certains articles (2b et 15) de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que l'article 10 de la Charte québécoise des droits de la personne.

L'article 10 stipule qu'une personne ne doit pas souffrir de discrimination «fondée [...] sur les convictions politiques», entre autres. Le Bloc demande purement et simplement la démission du juge en chef de la Cour d'appel du Québec.

«Dans une société comme la nôtre, où le pouvoir judiciaire est aussi important, il doit y avoir une séparation claire entre le politique et le système de justice. Le juge Robert a franchi la rampe», a soutenu au Devoir Richard Marceau, porte-parole du Bloc en matière de justice.

La formation souverainiste n'a d'ailleurs pas manqué de relever que le juge Robert a déjà été président du Parti libéral du Canada entre 1986 et 1990, soit avant d'être nommé juge.

«Imaginez la réaction si le Parti québécois était au pouvoir et qu'il disait que tous les avocats fédéralistes ne peuvent pas être nommés juge à cause de leurs convictions politiques! Le tollé serait énorme, et avec raison. Ça n'a pas de sens», a soutenu Richard Marceau.

Le juge Robert a affirmé sans équivoque qu'il n'avait pas l'intention de démissionner. Au Conseil canadien de la magistrature (CCM), on affirme que toutes les plaintes sont étudiées et que celle du Bloc ne fera pas exception. «Un juge, normalement, ne doit pas s'impliquer dans une activité ou un débat politique, c'est clair dans notre principe déontologique», a affirmé Normand Sabourin, directeur exécutif du CCM. «Par contre, il y a une exception: si un débat porte sur l'administration de la justice elle-même, un juge peut se prononcer. Il faut considérer tous les facteurs d'une plainte, c'est du cas par cas.»

À Québec, le Parti québécois n'a pas du tout apprécié la sortie du juge Robert.

«Est-ce que les souverainistes, qui paient des impôts, devraient être exclus de la magistrature? Les propos de M. Robert sont discriminatoires et devraient être condamnés publiquement par le ministre [québécois de la Justice]», a estimé le porte-parole de l'opposition officielle en matière de justice, le député Stéphane Bédard.

Un geste que n'a pas fait Yvon Marcoux, ministre québécois de la Justice, qui a plutôt rappelé le fonctionnement du processus de nomination des juges. «Lorsqu'on évalue les candidatures, on doit tenir compte de la compétence, de la probité, de l'intégrité, de la disponibilité et de la pondération. On ne doit aucunement tenir compte des opinions politiques», a-t-il dit lors d'un point de presse à l'Assemblée nationale.

Amélioration du système

Le Bloc plaide depuis plusieurs mois pour une refonte du mécanisme de nomination des juges au niveau fédéral, question d'accroître la transparence. Sur ce point, Henri Brun est tout à fait d'accord. À l'heure actuelle, un comité indépendant dresse une liste d'avocats susceptibles d'être nommés juges. À côté de chaque nom, le comité colle un des trois qualificatifs suivants: «très qualifié», «qualifié» ou «pas qualifié». Le ministre fédéral de la Justice et le premier ministre pigent ensuite parmi les noms portant un des deux premiers qualificatifs pour nommer les magistrats.

«Ce système ne donne pas lieu à des nominations aberrantes du type "avocat non qualifié", mais la nomination reste un choix politique. Le gouvernement peut choisir un avocat "qualifié" dans la liste, même si un candidat "très qualifié" est encore disponible. Le lien avec le parti au pouvoir est parfois bien visible», explique Henri Brun.

Le Bloc a également porté plainte à la GRC en ce qui concerne les allégations fracassantes de Benoît Corbeil, l'ex-directeur du Parti libéral du Canada au Québec (PLC-Q), qui affirmait il y a deux semaines que sept ou huit des vingt avocats qui faisaient du bénévolat pour le PLC ont été nommés juges en guise de récompense pour leur travail partisan.

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