Du pain dit «bio» vendu sans certification
Faux pas dans l'univers de l'alimentation biologique au Québec. La chaîne de boulangeries Au Pain Doré s'est placée depuis 10 mois dans la plus grande illégalité en vendant dans ses nombreuses succursales à travers la province des «pains bio» sans la certification obligatoire imposée par la loi du Québec, a découvert Le Devoir. Une infraction passible d'une amende de 2000 à 4000 $ qui donne également le droit aux consommateurs de douter du caractère véritablement biologique des miches, boules et autres baguettes du boulanger industriel, selon l'organisme de certification reconnu au Québec, l'Organic Crop Improvement Association (OCIA).
Hier après-midi, dans une boulangerie Au Pain Doré de la rue Peel au centre-ville de Montréal, les «multi-grains bio», les «bio lin», les «sarrasin bio», les «baguettes bio» et «épeautre bio» affichaient pourtant clairement leur vertu biologique tout comme leurs prix, sensiblement plus élevés que les pains versions conventionnelles. Il en est d'ailleurs ainsi dans l'ensemble des succursales de la chaîne visitées au cours des dernières semaines. Leur certification? «OCIA», lancent en choeur les boulangères interrogées sur le sujet tout en exhibant le logo du certificateur imprimé sur quelques pancartes publicitaires.La certification — tout comme celles offertes par Garanti Bio/Écocert, Farm Verified Organic (FVO), Quality Assurance International (QAI), Québec Vrai et Organic Crop Producers and Processors (OCPP) / Pro-cert Canada — est effectivement officiellement reconnue au Québec par le Conseil d'accréditation du Québec (CAQ), chargé d'encadrer le secteur biologique dans la province. Le hic est que les boulangeries n'ont pas le droit de l'afficher.
En effet, vérifications faites auprès des bureaux de l'OCIA à Lincoln au Nebraska (le siège social de l'organisme international), la boulangerie Au Pain Doré n'y est tout simplement pas répertoriée comme entreprise certifiée, confirme Lynn Moorer, avocate à l'OCIA. Même son de cloche au bureau québécois du certificateur américain, OCIA-Québec, situé à Drummondville. Or, sans certification, le boulanger industriel ne peut pas utiliser le logo de l'OCIA et encore moins l'appellation «biologique» sur ses produits comme le stipule, depuis le 17 février 2000, la loi provinciale sur les appellations réservées.
Alors? «Depuis le 26 octobre 2001, Au Pain Doré ne relève plus de l'OCIA, confirme Hubert Roiné, coordonnateur de certification pour l'organisme américain. Son certificat de conformité, émis pourtant pendant un an et demi, n'a pas été renouvelé à son expiration. Nous avons à deux reprises envoyé un formulaire à l'entreprise pour qu'elle régularise sa situation. Sans réponse à ce jour.» La certification de l'OCIA coûte aux certifiés entre 125 et 495 $US par année, selon son chiffre d'affaires.
Au Conseil d'accréditation du Québec (CAQ), l'absence de certification des boulangeries Au Pain Doré pour vendre des pains biologiques n'était pas encore connue hier, «faute d'un système d'inspection suffisamment efficace à ce jour», a expliqué Denis Paul Bouffard, directeur du CAQ en entrevue au Devoir. «C'est illégal, c'est sûr, a-t-il poursuivi. Nous allons leur notifier l'infraction le plus vite possible. Si rien n'est fait, l'entreprise s'expose à des poursuites judiciaires et à une amende pouvant varier de 2000 à 4000 $.» De plus, l'OCIA peut également intenter des poursuites pour «usurpation de certification», dit M. Roiné.
Interrogé à ce sujet, le président d'Au Pain Doré, Jean-Marc Étienne, dont la succursale de la rue Laurier affichait encore hier dans sa porte un certificat confirmé de l'OCIA arrivé à échéance en octobre dernier, a invoqué un «problème administratif» pour justifier l'illégalité dans laquelle sa boulangerie s'est placée. «Nous avons renouvelé notre certification récemment. Le chèque est dans la poste», dit-il.
Puis il ajoute: «Nos produits biologiques sont toujours faits avec la même rigueur, dans une pièce séparée des autres unités de production. Les ingrédients, eux, sont également tous certifiés biologiques. Nous n'avons pas changer nos façons de faire.»
Peut-être. Mais dans le monde ultra-réglementé et annuellement inspecté de l'alimentation biologique, la seule parole d'un chef d'entreprise ne suffit malheureusement pas, prévient Hubert Roisé, de l'OCIA: «Notre dernière inspection remonte à octobre 2000. Deux ans, c'est long, et cela ne nous permet plus de garantir aujourd'hui aux consommateurs que les ingrédients entrant dans la composition de ces pains sont effectivement biologiques.» Une garantie qui est pourtant le fondement de l'alimentation biologique depuis ses toutes premières heures au Québec comme ailleurs dans le monde.