Plus d'enfants Ritalin que jamais
Les parents et les médecins font-ils appel au Ritalin plus souvent qu'avant pour éliminer l'hyperactivité dont souffrent certains enfants? Des psychologues de l'Université de Montréal se posent la question à la lumière des informations qu'ils ont tirées d'une vaste enquête menée auprès de 17 000 enfants canadiens.
Selon les données de cette étude, la consommation de Ritalin par les enfants âgés de deux à onze ans se serait accrue de 36 % durant une période de deux ans. Une augmentation qui n'est pas gigantesque en soi, mais qui peut devenir alarmante si cette tendance se maintient pendant une dizaine d'années, affirment les chercheurs.Bien que les garçons étaient presque cinq fois plus nombreux que les filles à absorber la drogue miracle, la hausse de 36 % mesurée entre 1994-95 et 1996-97 a été observée autant chez les filles que chez les garçons, et indépendamment de leur âge, spécifie Elisa Romano, psychologue du Groupe de recherche en inadaptation psychosociale chez l'enfant (GRIP) et principal auteur de la publication relatant ces résultats dans la dernière édition de The Journal of Pediatrics.
Le nombre d'enfants soumis à la médication demeure toutefois relativement bas, souligne-t-on dans l'article, puisqu'il oscille entre neuf garnements par 10 000 (0,09 %) parmi les bambins de deux-trois ans et 3,89 marmots sur 100 (3,89 %) parmi les gamins de huit-neuf ans.
«La prévalence des enfants qui reçoivent du Ritalin monte en flèche dès l'entrée à l'école», fait remarquer la chercheuse. En effet, les enfants âgés entre six et sept ans consomment quatre fois plus fréquemment le célèbre psycho-stimulant que leurs cadets de quatre ou cinq ans. Et l'usage du médicament continue de s'amplifier au cours du premier cycle, puisque les écoliers de huit-neuf ans sont deux fois plus nombreux à avaler le médicament que leurs benjamins de six-sept ans. À l'instar des observations relevées dans des études précédentes, cette nouvelle enquête confirme que les gamins âgés de sept à neuf ans constituent en effet la population enfantine la plus boulimique de Ritalin, précise-t-on dans la publication.
Et ce, en dépit du fait que ces estimations n'ont pas été effectuées en dénombrant les ordonnances rédigées par les médecins comme dans la plupart des enquêtes antérieures. «Nous avons plutôt interrogé les mamans des enfants qui ont participé à l'étude afin d'obtenir une mesure plus directe», précise la psychologue.
Comment les chercheurs expliquent-ils cette popularisation du méthylphénidate, davantage connu sous l'appellation commerciale de Ritalin? Plusieurs hypothèses sont avancées.
D'une part, les médecins diagnostiqueraient mieux et donc de plus nombreux enfants atteints du déficit de l'attention avec hyperactivité (DAH). Un phénomène qui est même relaté dans les ouvrages de référence. La quatrième édition de la bible des psychiatres, le DSM (The Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) affiche une augmentation de 15 % du nombre de cas de DAH identifiés parmi les enfants âgés entre 4 et 16 ans par rapport à son édition précédente. Et comme le Ritalin demeure la substance la plus couramment prescrite pour traiter ce problème, on comprend ainsi que sa consommation se soit étendue d'autant.
D'autre part, le Ritalin serait administré de plus en plus souvent pour tempérer d'autres comportements perturbateurs que le DAH, tels que les conduites agressives, voire violentes.
Les chercheurs en viennent même à penser que les parents et les médecins ont de plus en plus rapidement recours à cette solution thérapeutique de facilité au lieu d'opter pour une «intervention multimodale», plus fastidieuse mais néanmoins plus durable, affirme Elisa Romano. Or les classes plus nombreuses et l'effondrement des ressources allouées au suivi de ces enfants par des psychoéducateurs n'aideront sûrement pas à renverser cette tendance, lance-t-on finalement sur un ton critique.