Ententes signées avec des communautés innues - Les errements du député Lebel

Contrairement à ce que prétend le bloquiste Ghislain Lebel, Bernard Landry n'a pas trahi les souverainistes en concluant une entente de principe reconnaissant les droits ancestraux de quatre communautés innues. Il a plutôt respecté la lettre et l'esprit de la politique autochtone envisagée dès 1978 par René Lévesque, soutient Éric Gourdeau, sous-ministre aux Affaires autochtones de l'ancien premier ministre péquiste.

«M. Lebel erre complètement. L'attitude du gouvernement du Québec est entièrement inspirée de la politique de M. Lévesque. Cette politique, qui a fait l'objet d'une résolution à l'Assemblée nationale en 1985, reconnaît explicitement les nations autochtones et leurs droits ancestraux», a-t-il confié au Devoir hier. M. Gourdeau fut secrétaire général du secrétariat des activités gouvernementales en milieu amérindien et inuit (aujourd'hui secrétariat aux affaires autochtones) de 1978 à 1985.

Attaché à cette politique qu'il a contribué à élaborer, il s'est dit «blessé et attristé» par la déclaration d'un député mal renseigné.

Selon M. Gourdeau, le négociateur de l'entente et ancien sous-ministre de René Lévesque, Louis Bernard, «s'est inspiré à la lettre de la politique de M. Lévesque. C'est pratiquement du mot à mot».

Les accusations faites vendredi dernier par M. Lebel ont aussi piqué le premier ministre Landry. Si le député de Chambly avait été un de ses ministres, a-t-il déclaré hier lors de son passage à Contrecoeur, «sa carrière comme ministre dans mon gouvernement aurait pris fin au moment où il terminait sa phrase».

C'est une lettre envoyée à La Presse la semaine dernière qui a déclenché cette tempête. M. Lebel y dénonce une entente de principe conclue avec quatre communautés innues de la Côte-Nord et du Lac-Saint-Jean et qui prévoit leur accorder l'autonomie gouvernementale, le pouvoir de créer un régime fiscal innu et la propriété exclusive ou partagée de territoires totalisant environ 300 000 kilomètres carrés.

Selon M. Lebel, cette entente risque de faire boule de neige auprès des autres nations autochtones et de faire en sorte que les Québécois se retrouvent avec le contrôle d'un territoire pas plus grand qu'un «timbre-poste». Comme souverainiste, il disait se sentir trahi.

Le chef bloquiste Gilles Duceppe l'a aussitôt relevé de ses fonctions de critique en matière de travaux publics. M. Lebel a répliqué ce week-end en mettant en doute le leadership de son chef. Deux députés, Pierrette Venne et Serge Cardin, ont pris sa défense en disant que l'entente devait faire l'objet de débat.

Hier, M. Lebel disait sur les ondes de RDI s'interroger sur son avenir et maintenait sa position. «La souveraineté sans territoire, ça ne représente rien et c'est la tristesse qui m'accapare, puisque je milite dans les partis souverainistes depuis 30 ans. [...] J'ai l'impression d'avoir été floué, de m'être fait mentir, d'avoir été abusé, en termes de militantisme, par des gens plus ou moins sincères. Là, on est en train de le découvrir aujourd'hui, on est en train de partitionner le Québec, d'enclaver des villages dans un territoire gigantesque autochtone.»

Entre-temps, le whip Pierre Brien tentait de réunir MM. Duceppe et Lebel. Il devait parler à ce dernier hier soir et on espérait pouvoir fixer un rendez-vous.

Le premier ministre Landry, de son côté, a dit laisser à Gilles Duceppe le soin de discipliner ses troupes. Il a par contre déploré le «culte du ressentiment» et la «suspicion» manifestés dans ce dossier.

«Ces excès de langage sont parfaitement injustifiés; on en a encore pour des mois et des mois, voire des années de négociations, avant de signer quoi que ce soit. Et tout sera fait de concert avec les élites locales, avec les populations locales, en toute transparence et en toute information», a-t-il affirmé.

Il a souligné que l'on fait référence, dans cette entente, à moins d'un pour cent du territoire québécois et qu'il s'agit de cogestion, non pas de droit exclusif des Innus sur un territoire donné. «Les faussetés manifestes n'ont pas leur place», a-t-il lancé.

Dans l'entourage de M. Duceppe, on s'expliquait mal la soudaine sortie de M. Lebel puisque Louis Bernard a rencontré le caucus bloquiste ce printemps pour lui expliquer la teneur de l'entente. Il a expliqué que c'était la première étape d'un processus de négociations qui pourrait durer encore deux ans.

Éric Gourdeau rappelle que le premier ministre René Lévesque avait, lui-même et dès 1978, amorcé des discussions avec les Innus. Il ne voulait pas attendre d'être pressé par un projet de développement comme cela avait été le cas avec les Cris et Inuits de la Baie James.

«Il ne voulait pas attendre parce qu'il trouvait que les droits ancestraux étaient sacrés, qu'il ne suffisait pas de les reconnaître, qu'il fallait aussi les mettre en application», raconte-t-il

Il a tenu à rectifier les faits afin d'éviter que le doute ne s'installe dans l'esprit des autochtones à l'égard de la détermination de Québec dans ce dossier. M. Gourdeau n'est plus fonctionnaire mais il croit toujours sincèrement au respect des droits ancestraux autochtones. De plus, il pense que leur respect sera une question incontournable pour un Québec souverain qui veut obtenir la reconnaissance internationale.

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