Sécurité aérienne - Ottawa freine l'essor de l'OACI
L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) craint de voir ses programmes liés à la sécurité aérienne compromis par la lenteur d'Ottawa à l'aider à régler son manque d'espace de bureaux. La plus importante institution internationale basée à Montréal s'explique d'autant plus mal les tergiversations de son hôte canadien que les locaux supplémentaires qui font défaut sont d'ores et déjà mis gratuitement à sa disposition par le gouvernement du Québec.
Dans une lettre adressée au sous-ministre des Affaires étrangères, Gaëtan Lavertu, datée du 31 juillet et dont Le Devoir a obtenu copie, le secrétaire général de l'institution, Renato Claudio Costa Pereira, cache mal son exaspération de voir Ottawa lui demander de nouveaux délais, et ce, plus de quatre ans après avoir été saisi du problème. «Je souhaite vous rappeler qu'en raison de notre pénurie aiguë d'espace, j'ai été forcé de retarder le recrutement du personnel nécessaire à la sécurité aérienne, et ce, en dépit des résolutions de la dernière Assemblée [triennale de l'OACI] et de la déclaration de la Conférence ministérielle sur la sécurité aérienne à la suite des attaques terroristes du 11 septembre. [...] Il sera difficile, poursuit-il plus loin, de justifier pourquoi tous ces programmes ont été retardés alors que l'entente négociée [avec Québec] ne coûtera pas un sou à l'OACI et ses pays membres.»Une visite au 25e étage de la Tour Bell, adjacente au siège social de l'OACI, permet de constater que les nouveaux locaux mis à la disposition de l'agence des Nations unies par le gouvernement du Québec n'attendent plus que leurs occupants. Réaménagé cet hiver aux coûts d'un peu plus d'un million de dollars, disent des sources impliquées dans le projet, en vertu de plans autorisés par l'organisation internationale, l'étage de 35 000 pieds carrés compte plus d'une soixantaine de postes de travail et de bureaux fermés auxquels il ne manque plus que l'ameublement. On y trouve également des salles de conférence, des aires communes ainsi que l'incontournable logo officiel en verre dépoli accroché au mur à la sortie des ascenseurs.
L'histoire sans fin
Dans le résumé de l'affaire qu'il faisait par écrit en juin aux membres du Conseil de l'OACI et dont Le Devoir a aussi obtenu copie, M. Costa Pereira rappelle que l'organisme s'est senti à l'étroit dès la première année de son déménagement en 1996 de ses anciens locaux de la rue Sherbrooke vers son nouveau siège social du 999 University. Après de nombreux travaux de réaménagement, l'OACI fait savoir au gouvernement fédéral dès 1998 que l'ajout d'espace de bureau supplémentaire sera inévitable. Devant la lenteur du dossier, l'OACI demande et obtient du fédéral, en juin 2000, la permission d'appeler à son aide les autres niveaux de gouvernement.
Le gouvernement du Québec fait savoir en avril 2001 qu'un étage de la Tour Bell est disponible. Il offre, peu de temps après, de payer pendant dix ans la totalité des coûts de location des nouveaux locaux fixés, selon d'autres sources, à environ 1,350 million par année. Assumant déjà 75 % des coûts de location du siège social (les 25 % restants étant assumés par l'OACI), le fédéral réclame un nouveau délai afin de pouvoir procéder à l'étude des options offertes et justifier l'éventuelle demande de nouveaux crédits au Conseil du trésor. L'OACI accepte en lui rappelant qu'elle souhaite prendre possession de ses nouveaux locaux au plus tard à la fin 2001. L'étude commandée par Ottawa, poursuit M. Costa Pereira à l'intention des membres du Conseil, ne sera achevée qu'au mois de février 2002 et confirmera les besoins d'espace de l'OACI.
Ottawa s'offusque... et réclame de nouveaux délais
À la fin du mois de mai, révèle un autre document, le représentant permanent du Canada à l'OACI, Lionel Alain Dupuis, fait part aux membres du Conseil de sa surprise de voir le secrétariat de l'institution internationale réclamer de nouveaux espaces six ans seulement après l'inauguration d'un siège social flambant neuf qui avait pourtant été conçu pour suffire à ses besoins jusqu'en 2016. Il déplore le manque de transparence du secrétariat dans ce dossier et ajoute: «Le Canada a le regret de noter que cette situation pourrait potentiellement avoir un impact sur les [bonnes] relations entre l'OACI et le gouvernement hôte.» Aussi «recommande»-t-il que rien ne soit entrepris dans cette question avant qu'un accord ne soit intervenu entre les deux parties.
Dans le résumé qu'il fait de l'affaire au mois de juin, le secrétaire général de l'Organisation rétorque que le gouvernement canadien a été systématiquement tenu au courant des échanges qui ont eu lieu entre le gouvernement du Québec et l'OACI dans cette affaire. Il ajoute que l'organisation internationale a la capacité légale de se passer de la permission d'Ottawa dans le dossier. L'OACI réaffirme toutefois le souhait de s'entendre avec son hôte canadien tout en lui rappelant l'urgence d'en arriver à une solution.
Dans la lettre qu'il envoie à la fin du mois de juillet à M. Costa Pereira, le sous-ministre fédéral Gaëtan Lavertu l'assure qu'Ottawa a compris le message. Aussi lui demande-t-il un nouveau délai. Jusqu'à la fin du mois de septembre cette fois. Afin, explique-t-il, de permettre à son équipe d'étudier les nombreuses options sur la table, y compris celle de la Tour Bell, et d'en arriver à une recommandation au ministre.
Basé à Montréal depuis sa création, en 1944, l'OACI constitue la plus importante et l'une des plus anciennes institutions internationales de la métropole. Chargée d'élaborer les normes internationales dans le domaine du transport aérien, cette agence des Nations unies compte 188 pays membres. Un peu moins de 800 personnes y travaillent quotidiennement, dont 625 employés et 150 membres d'une quarantaine de délégations nationales. On évaluait, en 1996, ses retombées économiques pour la métropole à environ 60 millions. Son impact sur le caractère international de la ville a maintes fois été évoqué et apparaît avoir été un facteur déterminant dans la venue d'autres institutions internationales telles que l'Institut de statistiques de l'UNESCO ou l'Association internationale du transport aérien (IATA) pour n'en nommer que deux.