Hors-jeu: En direct du mirodrome

Anna Kournikova en pleine séance d’échauffement hier sur le court numéro 7 du stade Jarry.
Photo: Patrick Sanfaçon Anna Kournikova en pleine séance d’échauffement hier sur le court numéro 7 du stade Jarry.

Mais qui donc voulez-vous que ce soit, bondance? La reine d'Angleterre?
Remarquez, on ne pourrait blâmer personne d'être un peu mélangé. En quelques années, le tennis féminin est-européen s'est si bien imposé que chaque tournoi donne désormais lieu à une liste de noms susceptible de flanquer le tournis, ou du moins de faire prendre conscience des avantages d'un exercice de diction préalable avec des roches dans la bouche, comme Diogène s'il avait cherché une femme.

Ainsi des Internationaux du Canada qui ont démarré ce week-end sous le soleil exactement, où l'on retrouve par ordre alphabétique Daja Bedanova, Elena Bovina, Elena Dementieva, Jelena Dokic, Daniela Hantuchova, Janette Husarova, Alina Jidkova, Elena Likhovtseva, Anastasia Myskina, Henrieta Nagyova, Tatiana Panova, Tina Pisnik, Tatiana Poutchek, Irina Selyutina, Anna Smashnova, Katarina Srebotnik, Martina Sucha, Iroda Tulyaganova et Vera Zvonareva.

Et, bien sûr, l'autre, là.

Ben quoi, vous ne pensiez tout de même pas qu'on allait passer toute une semaine de gros tennis sans se jaser à la volée d'Anna Kournikova? C'est nul, le racolage, mais c'est fichtrement amusant, et je vous traiterai sans une once d'hésitation de fieffés menteurs si vous prétendez le contraire.

Oh, vous ne seriez pas les seuls. Le pieux mensonge a le vent dans le toupet au tennis. Prenez le guide annuel du circuit féminin, la WTA: on y assure qu'Amélie Mauresmo pèse 141 livres, Jennifer Capriati 134 et Serena Williams 130. Qu'est-ce qu'ils font, ils mesurent juste le poids des épaules?

Et puis, il faut se dépêcher d'en parler, de la belle Anna, parce que le temps risque de manquer. Nous savons tous qu'elle n'a pas remporté un seul tournoi en 38 000 tentatives en carrière — en fait, c'est 100 et quelques, mais si Serena peut dire qu'elle fait 130 livres, je considère que l'exagération est un droit inhérent —, mais en plus, dans les 20 derniers tournois auxquels elle a participé, elle n'a franchi le premier tour que cinq fois. Demain, il pourrait donc être trop tard.

Et puis encore, ce n'est pas moi qui ai commencé, ce sont eux. Si j'étais juché sur la passerelle située derrière les plus hauts gradins du court central du stade du Maurier, c'était pour profiter du bon vent d'ouest, il va sans dire, venu mettre un peu de baume sur ma calcination en cours accéléré, mais aussi pour avoir une vue

plongeante sur le court numéro 7, où A. K. s'entraînait — s'entraînait — devant une salle comble.

Une salle comble, euphémisme presque aussi joli que le centre d'attention elle-même. Plein de gens aussi massés aux clôtures d'entrée, d'autres dispersés le long des toiles ceinturant le terrain, tentant d'entr'apercevoir un repli de couette blonde par quelques évanescents interstices. Indescriptible peep show socialement acceptable, qui n'en posait pas moins la question du jour: en dépit de ce que toute la sagesse immémoriale de ses ancêtres lui a appris, l'humain se fierait-il aux apparences?

(D'ailleurs, si vous m'autorisez une petite considération secondaire qui a peu à voir mais permet de commencer la semaine sur le bon pied, la dernière livraison de L'Officiel du Scrabble a intégré un nouveau terme pour désigner le peep show: un mirodrome. Sérieux. Fort élégant alibi, du reste. «Qu'est-ce t'as fait, hier?» «Je suis allé assister à la projection des plus récentes productions avant-gardistes du septième art dans un mirodrome.» Un peu plus, et on vous croira abonné aux Cahiers du cinéma, comme j'ai le privilège de l'être.)

Juché, donc, pour éviter la cohue que j'exécrerai jusqu'à mon dernier soupir d'incrédulité, et c'est là que quelques gens s'arrêtaient et demandaient ce qui pouvait bien se passer en bas, quelle créature mielleuse pouvait bien attirer autant de mouches, et c'est là que, n'eût été d'une politesse inculquée en bas âge par des parents visionnaires, je leur aurais répondu: mais qui voulez-vous que ce soit, bondance, la reine d'Angleterre?

Non, il suffisait de répondre: Anna Kournikova, et ils faisaient un petit sourire entendu. Quel esthète tout de même, n'est-ce pas, que l'humain. Vous lui offrez tout le talent du monde, et c'est quand même la gracilité de l'aménagement des molécules qui lui fera mollir les mollets. Mais attention, m'sieur dame, ne mettez pas tous ces gens dans le même paquet. Sûr, l'humain, il est un peu voyeur, et peut-être même sans doute beaucoup. Mais il est aussi suiveux. Je suis persuadé que plusieurs n'y sont que parce qu'ils ont vu du monde y être. C'est le principe du restaurant: s'il y a une file devant la porte, c'est que ça doit être bon. Ainsi l'humain va-t-il se placer au bout de la queue.

Et il ne voit rien, mais il est là.

Malheureusement, Mlle K. n'a pas donné d'entrevue, hier, un exercice auquel elle s'était prêtée il y a deux ans et qui avait donné des résultats assez désastreux, du genre dont se délectent les médias et ceux qui les consultent en espérant obtenir confirmation que l'extrême beauté est extrêmement bête.

On a plutôt eu droit à Martina Hingis, ce qui nous rappelle opportunément que celle en l'honneur de qui elle est prénommée, la grande Martina Navratilova, est aussi à Montréal, où elle disputera les doubles en compagnie de Jennifer Capriati. Et qu'un sondage effectué par le magazine ESPN indique que 6,1 millions de petits Américains sont prénommés en référence à un sportif qu'adulent leurs parents, et qu'il est dommage que les miens n'aient pas fait plus de cas de Rogatien Vachon.

Hingis entretient d'ailleurs une liaison avec le golfeur Sergio Garcia, ce qui signifie que si vous la voyez avec quelqu'un d'autre faire son magasinage — car toutes les joueuses de tennis font du magasinage à Montréal, riant sous cape du dollar canadien —, c'est louche. Capriati, pour sa part, a été aperçue avec Matthew Perry, qui joue dans Friends, mais ils jurent qu'ils ne sont que cela, friends, ce que personne ne croit. Quant à Jelena Dokic, 19 ans, minois allègre dont on dit qu'elle pourrait supplanter Kournikova rayon commandites de bébelles si un jour elle joue à la hauteur de son immense talent, elle fréquente le pilote brésilien de Formule 1 Enrique Bernoldi.

On sait ces choses-là quand on est un multi-abonné.

jdion@ledevoir.com

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