Colombie - Assermentation sanglante pour Alvaro Uribe
Alvaro Uribe a échappé à une sanglante grêle de bombes qui ont fait 15 morts et au moins 24 blessés hier près de la présidence, à Bogotá, quand il prêtait serment comme chef de l'État de Colombie.
La nouvelle de la tragédie a été connue alors que le nouveau président de droite prononçait dans l'hémicycle du Congrès son discours comme successeur du conservateur Andrés Pastrana, pour un mandat de quatre ans.M. Uribe et les 600 invités présents à la passation de pouvoirs se trouvaient déjà à l'intérieur du Congrès, contigu à la présidence, lorsque trois roquettes et une bonbonne de gaz piégée ont explosé à proximité.
Cette vague d'attentats n'a pas été revendiquée, mais le nouveau président, réputé pour vouloir mater la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, marxistes), avait été qualifié «d'objectif militaire» par les rebelles avant même son élection le 26 mai.
Une bonbonne de gaz piégée a explosé vers 15h locales à 400 mètres du palais présidentiel de Narino et du Congrès, quelques minutes avant la passation de pouvoirs.
Treize civils ont été tués sur le coup et vingt autres blessés par la déflagration. Tous sont des déshérités du quartier du Cartucho, réputé pour être l'une des plaques tournantes du trafic de drogue à Bogotá.
Au même moment, quatre policiers ont été blessés par l'explosion de trois roquettes tombées sur un parking, près de la présidence.
Vêtu d'un costume sombre, cravate rouge, le nouveau président était accompagné de son épouse, Lina, et de leurs deux garçons, Tomas et Jeronimo, lorsqu'il est descendu d'une camionnette blindée entourée de neuf gardes du corps devant le Congrès, avant d'y entrer pour prêter serment.
«Nous n'acceptons pas la violence, ni pour combattre le gouvernement ni pour le défendre, qui est dans les deux cas du terrorisme», a souligné Alvaro Uribe dans son discours officiel.
Trois heures avant la cérémonie, trois bombes, propulsées par des lance-grenades, avaient explosé à huit kilomètres du palais, blessant trois femmes.
Cette violence meurtrière a frappé Bogotá, ville de sept millions d'habitants, malgré la transformation de la capitale en véritable forteresse par le déploiement de 20 000 hommes de troupe.
Sur les hauteurs proches de la présidence, deux tanks veillaient depuis la veille. Pour limiter les risques d'attentat, la cérémonie n'avait pas eu lieu sur la place Bolivar, face au palais et au Congrès, mais pour la première fois dans l'hémicycle.
L'aéroport international Eldorado a été fermé durant cinq heures hier après-midi et, pendant ce temps, le ciel de la capitale était contrôlé par un avion P3 américain. Ce quadriturbopropulseur Lockheed, équipé de radars et de matériel de surveillance sophistiqué, était chargé de détecter toute présence suspecte dans les airs.
Alvaro Uribe, qui a fêté ses 50 ans le 4 juillet, a déjà échappé durant sa carrière à quinze attentats, dont l'un a fait cinq morts en avril lors de son passage à Barranquilla (nord).
La capitale avait été le théâtre d'un attentat à la voiture piégée samedi et de deux attaques à la bombe dimanche, tous attribués par la police aux FARC, principale guérilla avec 17 000 hommes, avec pour bilan un mort.
Deux projets terroristes, attribués aux FARC et déjoués dans les derniers jours par les services secrets, visaient l'un à lancer un avion suicide sur le palais présidentiel en pleine cérémonie, l'autre à abattre l'hélicoptère d'Alvaro Uribe hier également.
La guerre civile en Colombie a déjà fait plus de 200 000 morts depuis 1964, avec une moyenne de 3000 enlèvements par an, et plus de deux millions de personnes déplacées au cours des quinze dernières années.
Qui est Uribe?
Austère, dépourvu d'humour, voire ascétique, Alvaro Uribe, investi hier président de la Colombie, semble être l'antithèse du Colombien moyen.
Mais cet avocat de 50 ans, qui a étudié à Harvard et Oxford, partage une chose avec nombre de ses compatriotes: la guerre civile qui ravage son pays depuis 38 ans lui a enlevé un de ses proches.
Au début des années 1980, son père, un riche propriétaire terrien de Medellin, a été tué dans une fusillade avec des rebelles des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) qui tentaient de l'enlever.
En avril, le mouvement de guérilla marxiste a failli éliminer à son tour celui qui n'était alors que candidat à l'élection présidentielle. Au cours d'une visite de campagne, les FARC ont fait exploser la voiture d'Uribe, tuant quatre personnes dans l'attentat.
Avec un extraordinaire sang-froid, le petit avocat était alors descendu de sa voiture blindée détruite par l'explosion pour s'enquérir de la santé des blessés. Ce calme affiché en toute circonstance a convaincu les Colombiens qu'Alvaro Uribe pouvait être l'homme de la situation.
Aussi discipliné que son pays est désordonné, cet homme élégant à l'apparence juvénile est considéré comme un possible sauveur par beaucoup de Colombiens, las d'un conflit responsable de 3500 morts en moyenne chaque année depuis 38 ans. Un conflit qui, ajouté au fléau de la drogue — la Colombie est le premier producteur mondial de cocaïne —, vaut aujourd'hui au pays le surnom de «Locombia» — «pays de fous».
Uribe a été élu dès le premier tour du scrutin présidentiel en mai grâce notamment au rejet massif par ses compatriotes d'Andrés Pastrana, dont les négociations avec le plus important mouvement de guérilla d'Amérique latine ont échoué en février.
Conservateur, indépendant et partisan de la manière forte face aux rebelles, Uribe a fait campagne sans le soutien du Parti libéral, dont il fut longtemps membre. Ses thèses prônant le retour de l'ordre et du libre-marché ont aussi séduit bon nombre de Colombiens aisés.
Depuis son élection, Alvaro Uribe n'a pas failli à sa réputation de bourreau de travail. En multipliant les annonces politiques importantes et en allant chercher des soutiens financiers aux États-Unis et en Europe, il a complètement éclipsé Andrés Pastrana.
Il se lève avant l'aube et ses collaborateurs se plaignent de réunions de travail durant jusque tard dans la nuit. Dans les sondages, sa popularité a grimpé jusqu'à 70 % d'opinions favorables.
Respectant son slogan de campagne «main ferme, grand coeur», il a promis d'engager une sévère répression militaire contre les mouvements de guérilla d'extrême gauche.