De quels droits Québec impose-t-il les mesures sanitaires?

Québec gouverne «par décret, par simple décret» pour lutter contre la pandémie, explique Stéphane Beaulac, professeur à la Faculté de droit de l’UdeM.
En vertu de la loi sur la Santé publique, Québec a déclaré le 13 mars un «état d’urgence sanitaire» qui se renouvelle tous les 10 jours. Cette loi autorise entre autres le gouvernement à «ordonner la vaccination obligatoire de toute la population», mais aussi à «ordonner toute autre mesure nécessaire pour protéger la santé de la population». C’est sous cette dernière formulation que le gouvernement impose le passeport sanitaire, par exemple.
Cette poignée légale n’est pas une carte blanche, nuance le juriste. Plusieurs points légaux délimitent ce pouvoir exceptionnel, notamment les chartes canadiennes et québécoises.
Est-ce qu’il y a atteinte aux droits à la liberté garantis par la constitution? «Peut-être», répond prudemment le spécialiste du droit public. Or, la Cour suprême a déjà statué qu’il n’y a aucun droit absolu. «Une violation peut se justifier dans une société libre et démocratique», dit Stéphane Beaulac, pourvu que l’objectif soit «urgent et réel». Si les décrets répondent à «une vraie raison, un objectif défendable et justifiable», le gouvernement peut faire ce qu’il veut pour tenir la pandémie en échec.
Une réelle contestation judiciaire des mesures sanitaires pourrait, par exemple, s’appuyer sur l’éventuelle liste des endroits où on va demander un passeport sanitaire.
«Aller à l’épicerie, ça serait pas mal plus difficile de passer le test [constitutionnel] que d’aller au théâtre et au cinéma, où c’est du divertissement», pointe Stéphane Beaulac.
Il se peut donc que les tribunaux fassent reculer le gouvernement sur une partie de ses règlements. Le couvre-feu étendu aux sans-abris, puis invalidé par les tribunaux, en est le parfait exemple. «L’objectif était justifié, mais les moyens allaient trop loin.»
À qui le pouvoir?
Plus la pandémie perdure et diminue en gravité, plus la légitimité de l’état d’urgence s’amenuise, note le spécialiste. Dans les premiers temps de la pandémie, il était inconcevable de rassembler tous les députés dans la même enceinte. Or, les parlementaires «ont repris les travaux depuis un an».
Des voix, notamment parlementaires, s’élèvent donc pour que Québec change la base légale de sa gestion pandémique. La loi permet de déclarer l’état d’urgence pour une période de 30 jours, plutôt que 10, à condition d’obtenir «l’assentiment, l’aval, le ok», de l’Assemblée nationale, dixit le professeur.
«[Le gouvernement] va l’avoir, l’assentiment, garantit M. Beaulac, mais ça va donner un forum, peut-être pour poser davantage de questions, pour aller donner un sérieux aux questionnements.»
«C’est pas le gouvernement qui a une légitimité démocratique, au Québec, au Canada, dans n’importe quelle province […] L’institution démocratique au Québec, c’est l’Assemblée nationale. C’est cette institution qui est court-circuitée» en ce moment, plaide-t-il.
Certains avocats ont déjà entamé des contestations judiciaires.