Excédées, les infirmières s’adressent aux tribunaux

La FIQ juge que «le prolongement indéterminé» de l’arrêté «porte atteinte aux droits et aux libertés de ses membres» d’une façon non justifiable au regard des chartes canadienne et québécoise des droits.
Photo: Valérian Mazataud Archives Le Devoir La FIQ juge que «le prolongement indéterminé» de l’arrêté «porte atteinte aux droits et aux libertés de ses membres» d’une façon non justifiable au regard des chartes canadienne et québécoise des droits.

Excédées, les infirmières sortent l’artillerie lourde et font appel à la cour pour faire déclarer inconstitutionnel et « abusif » l’arrêté ministériel qui permet, depuis le 21 mars, aux gestionnaires d’annuler leurs congés, leurs vacances et de passer outre à leurs conventions collectives.

Une requête a été déposée lundi en ce sens devant la Cour supérieure du Québec par la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) représentant 76 000 membres, et celle regroupant les 1700 infirmières du secteur privé (FIQP-FIQ).

« On a fait toutes les demandes, on a fait des manifestations, on a dénoncé ça sur toutes les tribunes. Là, on est rendues à aller devant les tribunaux pour que les gestionnaires cessent d’utiliser l’arrêté 007 de façon abusive et continuent de bafouer nos droits », a déclaré lundi Nancy Bédard, présidente de la FIQ.

Dans sa requête, la FIQ allègue que l’arrêté dotant le gouvernement Legault et ses gestionnaires de pouvoirs exceptionnels, reconduit pour une 16e foisdepuis le début de la pandémie en mars, n’a plus sa raison d’être, compte tenu de l’évolution favorable de la situation sanitaire au Québec. Depuis juin, « il est manifeste […] que la courbe des cas confirmés est désormais aplatie et contrôlée », écrit la FIQ.

C’est pourquoi elle juge que « le prolongement indéterminé » de l’arrêté « porte atteinte aux droits et aux libertés de ses membres » d’une façon non justifiable au regard des chartes canadienne et québécoise des droits, et demande à la cour de le déclarer inconstitutionnel ou inopérant.

« Les infirmières ont beaucoup donné et ont accepté ce que bien des gens n’auraient pas accepté. Les gestionnaires utilisent maintenant les arrêtés pour pallier les problèmes qui existaient avant la pandémie. C’était une mesure très dure, une mesure d’exception, qui doit prendre fin », tranche la cheffe syndicale.

Un prolongement indu

 

Selon Nancy Bédard, les exemples d’établissements qui s’arrogent des pouvoirs excessifs au détriment de la santé et de la vie privée des infirmières persistent sans raison. Le tempsplein obligatoire continue d’être la norme dans plusieurs régions, tout comme les heures supplémentaires obligatoires, sans égard aux responsabilités familiales de ses membres, dont 90 % sont des femmes.

« Ce n’est pas la santé de la population qu’on protège avec ces mesures [l’arrêté], c’est tout simplement utilisé par commodité par les gestionnaires. Les infirmières n’en peuvent plus, elles veulent juste démissionner ! », affirme Mme Bédard, qui vient de faire une tournée du réseau.

Les infirmières ont beaucoup donné et ont accepté ce que bien des gens n’auraient pas accepté. Les gestionnaires utilisent maintenant les arrêtés pour pallier les problèmes qui existaient avant la pandémie.

 

Au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Mont-réal, par exemple, des infirmières praticiennes expérimentées chargées du suivi de patients en Groupe de médecine de famille (GMF) sont mutées pour pallier le manque de personnel dans d’autres établissements.

« C’est juste pas les bonnes personnes au bon endroit ! », croit Mme Bédard. Dans ce CIUSSS, pas moins de 259 infirmières auraient remis leur démission depuis le 1er mars, affirme la FIQ.

À l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM), où aucun patient atteint de COVID-19 n’est traité et où aucune chirurgie n’est réalisée, l’arrêté ministériel décrété pour cause de pandémie est pourtant appliqué à la lettre.

« Les gens finissent même par se retrouver en surplus par rapport au personnel qu’il y avait avant la pandémie. Quand les horaires sont faits par ordinateur, c’est le chaos. On va en faire la preuve en cour », dénonce encore la FIQ.

Selon Mme Bédard, des ententes ciblées pourraient pourtant être négociées localement avec les syndicats, comme cela se fait fréquemment en cas de manque d’effectif ou de risques de rupture de service.

La FIQ entend d’ailleurs rencontrer prochainement à ce sujet le nouveau ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, ainsi que la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel.

Un infirmier de profession, Denis Dubé, et son unité locale, le Syndicat des professionnels en Santé et Services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (SPSS-CSIM-FIQ), seront parties prenantes de cette cause.

La FIQ et la FIQP avaient déjà brandi les armes vendredi dernier en contestant en Cour supérieure la directive de la Direction nationale de la santé publique du 9 juin limitant le port du masque N95 à des situations médicales très pointues, soit celles générant des aérosols.

Le syndicat infirmier invoque le fait que le caractère restrictif de cette directive a mis en danger la vie du personnel soignant, en augmentant le risque de contracter la COVID-19. Selon lui, plus aucune pénurie ne justifie de restreindre, depuis cette date, l’accès au N95 au personnel infirmier et de limiter le matériel de protection aux seuls masques chirurgicaux.

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