Une députée dénonce l’intimidation courante à l’Assemblée nationale

Chahut pour déconcentrer un collègue, insultes lancées hors micro, manque de respect récurrent… L’intimidation est tellement courante à l’Assemblée nationale qu’elle en est presque devenue ordinaire, selon la députée de Québec solidaire, Christine Labrie.
« La politique, c’est quasiment un concours d’intimidation, a-t-elle affirmé en entrevue au Devoir. Je trouve ça vraiment problématique et, d’ailleurs, ça fait partie des raisons pour lesquelles il y a tellement un cynisme important envers la politique. Les gens ne se reconnaissent pas là-dedans. »
Dans une lettre publiée dans «Le Devoir» samedi, la députée affirme qu’elle est « si régulièrement témoin de paroles ou d’événements choquants » qu’elle craint que sa « capacité à s’indigner s’use ».
Elle venait ainsi à la rescousse de sa collègue, Catherine Dorion, qui n’a pas participé à la période des questions jeudi dernier parce qu’elle portait un coton ouaté au lieu d’une « tenue de ville ».
Des élus d’autres formations politiques voulaient faire respecter le décorum. Une forme d’exclusion, selon Mme Labrie, qui illustre un climat d’intimidation insidieux durant les débats au Salon bleu et lors des travaux en commission parlementaire.
« C’est de faire sentir de toutes sortes de manières à une députée ou à un député qu’il ne devrait pas faire le travail qu’il est en train de faire, qu’il est dérangeant », a-t-elle expliqué.
Comme les commentaires au Salon bleu qui ne sont pas captés par les micros, mais que les députés, eux, perçoivent. « Ce qu’on entend, c’est tout le tapage que les autres partis font pour déconcentrer la personne qui prend la parole, pour lui faire perdre ses moyens, a-t-elle décrit sans donner d’exemples concrets. Ça peut être du bruit, ça peut être des réactions sonores ou des insultes lancées ou des manières de l’interrompre pour la déstabiliser. C’est quelque chose qu’on voit tous les jours. »
Ou « des soupirs très forts », « des propos qui sont carrément déplacés ou inappropriés, toujours hors micro » en commission parlementaire lorsque certains députés prennent la parole.
« Les gens qui font de la politique depuis longtemps trouvent que c’est normal, disent « ça fait partie de la game » et disent « si t’es pas prêt à subir ça, c’est peut-être parce que ce n’est pas ta place », alors que la réalité, c’est qu’il n’y a aucun milieu de travail où on devrait imposer ça à des gens », a-t-elle remarqué.
« La joute politique, ça devrait être des débats d’idées, a-t-elle ajouté. Ça ne devrait pas être des concours de jouer au plus fort pour essayer d’avoir le dernier mot, pour essayer de faire sentir les autres mal de faire des interventions. […] Si les gens n’aiment pas les débats, s’ils n’aiment pas faire remettre en question ce qu’ils font, c’est eux qui n’ont pas leur place ici parce qu’ici, c’est un lieu de débat. »
La députée n’a pas voulu dire si elle s’était déjà sentie intimidée. Les comportements de certains de ses collègues l’ont-elle déjà fait hésiter voire l’ont empêchée de faire des interventions en chambre ou en commission parlementaire ?
« Je ne suis pas une personne qui se laisse marcher sur les pieds dans la vie, mais je suis convaincue qu’il y a plein de gens qui sont arrivés ici avec des idées et qui ont peur de les nommer, et ce, dans tous les partis. »
Pas assez de mordant ?
Ce regard porté sur la joute politique n’est pas nouveau pour la députée libérale, Maryse Gaudreault, qui siège depuis 2008.
« On a plus de 40 % de femmes à l’Assemblée nationale et ce que j’ai entendu lorsque j’étais présidente du Cercle des femmes parlementaires : elles n’aiment pas le ton qui est trop partisan », a-t-elle constaté.
« C’est sûr que c’est difficile quelquefois à endurer, si on peut dire, a-t-elle reconnu. Mais c’est à elles et à eux de prendre la parole et de dénoncer ces types de comportements. Tout le monde a une responsabilité à l’Assemblée nationale pour assainir nos débats. »
Mme Gaudreault avait présidé en 2015 le groupe de travail qui a élaboré la politique de l’Assemblée nationale pour prévenir et gérer le harcèlement au travail. Cette politique, en vigueur depuis quatre ans et demi, s’applique autant au personnel administratif qu’aux élus. Elle a d’ailleurs invité Catherine Dorion à s’en prévaloir si elle en ressent le besoin.
« Si Mme Dorion s’est sentie intimidée, s’est sentie victime de harcèlement jeudi dernier, moi, je l’invite à communiquer avec les gens qui sont en place pour la gestion de la politique […], a-t-elle indiqué. Elle a toute la liberté de le faire. »
Une attachée de presse de Québec solidaire a indiqué que Mme Dorion n’avait pas l’intention de faire une plainte. Sa collègue Christine Labrie doute que la politique ait assez de mordant puisque le mot intimidation n’apparaît pas dans sa définition du harcèlement psychologique.
Aucun député n’avait formulé de plainte entre le 1er octobre 2018 et 31 mars 2018, selon le premier rapport annuel déposé en juin dernier.