Et si la mousse détrônait la bouteille de vin en France?

Un cultivateur de houblon près de la ville de Bailleul, au nord de la France. En 2018, 18,8% des emplois de l’agroalimentaire en France ont été créés par les brasseries, signe de l’engouement grandissant pour la bière et de la croissance de sa production au pays.
Photo: Philippe Huguen Agence France-Presse Un cultivateur de houblon près de la ville de Bailleul, au nord de la France. En 2018, 18,8% des emplois de l’agroalimentaire en France ont été créés par les brasseries, signe de l’engouement grandissant pour la bière et de la croissance de sa production au pays.

Chaque jour, une nouvelle brasserie ouvre ses portes sur le territoire français. D’ailleurs, avec ses quelque 1600 brasseries, la France en compte même plus qu’au Royaume-Uni ! « La France est en train de devenir une terre brassicole, tout comme l’Espagne, qui, en une dizaine d’années, est passée d’une terre de vin à une terre de bières », lance le biérologue Emmanuel Gillard, auteur du site Projet Amertume et du livre La bière en France.

 

Pour celui qui publie un annuaire des brasseries françaises, il s’agit d’une véritable tendance de fond. Ce n’est d’ailleurs pas le fruit du hasard : l’Hexagone comptait 3360 brasseries au début du XXe siècle. « La France a toujours été une terre de bières ; bien avant le vin, on buvait des boissons fermentées à base de céréales. La bière fait partie de notre patrimoine, mais nous l’avons oublié », estime de son côté Jacqueline Lariven, directrice de la communication des Brasseurs de France, syndicat professionnel de la brasserie française. C’est notamment dans les années 1980 que le pays voit ses brasseries fermer une à une — on n’en compte plus qu’une trentaine ! — et ses produits se standardiser. « Le marché a décliné à ce moment-là, car l’offre se résumait à une bière blonde de soif », estime Mme Lariven.

Pourtant, depuis une dizaine d’années, les brasseries artisanales sont de plus en plus nombreuses et la consommation a tendance à croître. D’une moyenne de 30 litres de bière par an en 2009, elle a grimpé à 33 litres en 2018. Évidemment, les Français restent fidèles au vin — chaque adulte boit 51,2 litres de vin par an, selon les statistiques de l’Organisation internationale du vin (OIV) —, mais sa consommation ne cesse de diminuer : en moins de 20 ans, elle a chuté de plus de 20 %.

Du point de vue d’Emmanuel Gillard, les Français vont finir par préférer la bière au vin. « On peut prendre l’exemple de l’Espagne : plus de 600 brasseries ont ouvert en deux ans et aujourd’hui, on y boit plus de bière que de vin », mentionne-t-il. Selon lui, nul doute, la France suit le même chemin.

Un secteur qui se met en place

 

« Le développement des créations de brasseries en France est phénoménal par rapport à ce que l’on aurait pu imaginer il y a 10 ans. C’est le cas dans d’autres pays, mais en revanche, on est les seuls à avoir un nombre important aussi rapidement », croit quant à elle Élisabeth Pierre de Bierissima, zythologue (de zythos : « bière ») et rédactrice en chef du magazine Bières Mets.

Photo: TLS pour Les Brasseurs de France Une cuve à bière

Selon Jacqueline Lariven, les Français se réconcilient avec la bière. « La bière a rénové son image, les petits producteurs comme les plus gros ont fait beaucoup d’efforts pour cela », constate-t-elle. Un avis partagé par Élisabeth Pierre, qui rappelle que les brasseurs développent des gammes de bières de plus en plus importantes, aussi inspirées par ce qui se fait à l’international.

La preuve que le secteur en France est en pleine effervescence : 18,8 % des emplois de l’agroalimentaire en 2018 ont été créés par la brasserie française, selon Les Brasseurs de France, et le marché global est en hausse constante. « Cela bouge à une vitesse absolument phénoménale, on peut aussi le constater dans les supermarchés. L’année passée, c’est le rayon qui a connu la plus grosse explosion du chiffre d’affaires, +11 % en un an. Donc la plupart des chaînes sont en train de repenser leur rayon bières pour qu’il soit plus beau et plus qualitatif », explique Emmanuel Gillard.

Pourtant, les brasseurs français partent de loin, car la plupart des écoles ont fermé. Pendant longtemps, pour se former, il fallait se rendre en Allemagne, en Belgique ou au Royaume-Uni. « Actuellement, plusieurs centres de formation se mettent en place et face à l’engouement, il y a de nouvelles écoles qui ouvrent, avec des formations certifiantes et reconnues », présente le biérologue.

Bières locales

 

L’engouement pour les brasseries artisanales vient aussi de la volonté du public de consommer local et en circuit court. « On veut consommer des produits qui sont à côté de chez nous. Dans cette mouvance, on va boire la bière de son village ou de sa région », relate Mme Lariven. D’ailleurs, l’arrivée massive — et rapide — des brasseries dans les grandes villes, de Paris à Marseille, en passant par Lyon et Bordeaux, le montre bien. Puisque tout est fabriqué sur place, il n’y a aucun intermédiaire. De plus, les brasseries urbaines s’inscrivent souvent dans un projet plus large que simplement produire de la bière.

« Les brasseries de centre-ville ont la volonté de s’implanter culturellement dans la ville, elles doivent s’impliquer et impliquer les habitants », pense M. Gillard. Dans certains cas, ce sont des villages entiers qui ont pu renaître grâce à leur brasserie locale. C’est le cas de Chargey-lès-Gray, en Haute-Saône, où la brasserie artisanale de la Rente rouge a totalement redynamisé l’activité locale.

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