Lettres: L'aliénation des francophones
J'appuie la proposition de Simon Langlois (Le Devoir, le 26 avril 2004) de «ne plus jamais aborder d'emblée en anglais cet individu de couleur de peau différente sous prétexte de [...] se montrer faussement accueillant». À la question posée l'an dernier par R.-A. Sandoval (Le Devoir, le 25 mars 2003), qui se demandait pourquoi les francophones du Québec ne sont pas «tout simplement francophones en tout temps et en tout lieu», ma réponse est simple: parce qu'ils sont toujours profondément aliénés face à l'anglais.
Dans mon enfance, les adultes du quartier Rosemont de Montréal se donnaient beaucoup de mal pour parler en anglais aux rares anglophones qui s'y trouvaient. [...]Après 30 ans de francisation, les mentalités n'ont pas encore changé à cet égard. Bien que les Lauzon Drive Yourself et autres Boismenu Driving School de mon enfance aient disparu, on se flatte encore de s'afficher bilingue chaque fois que l'occasion se présente.
Il y a quelques années, dans le centre-ville de Montréal, un groupe d'Asiatiques m'avait demandé, en anglais, s'ils allaient vers le quartier chinois. En français, j'ai demandé à ces personnes de formuler leur question dans ma langue. [...]
À ma grande surprise, au lieu d'entendre le «Sorry, I don't speak French» qu'on m'a souvent servi, j'ai eu droit à une nouvelle question exprimée dans un très bon français. Se rendant compte qu'elles se seraient davantage éloignées de leur destination, ces personnes ont très bien apprécié ma réponse formulée dans ma langue.
Plus récemment, j'ai été témoin d'une situation très navrante. Dans un commerce du boulevard René-Lévesque, à Québec, à quelques rues de l'Assemblée nationale, un caissier a demandé en anglais à un couple visiblement immigré: «Do you speak English?» Le jeune garçon qui les accompagnait lui a expliqué, dans un très bon français, qu'il accompagnait ses parents pour traduire dans leur langue d'origine.
Mon sang n'a fait qu'un tour quand j'ai entendu le caissier persister à ne parler qu'en anglais à cet écolier que la loi 101 a pourtant dirigé à l'école française. Comme l'écolier ne comprenait rien, le caissier s'est finalement résigné à lui parler dans la langue officielle du Québec!
N'est-ce pas là un bel exemple d'aliénation et de honte: un francophone de moins de 30 ans qui fait de l'anglais la langue de convergence entre les immigrants et la population d'accueil et qui, n'obtenant pas le succès qu'il aurait eu à Montréal, s'astreint enfin à parler en français à... Québec!
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