Extase blanche!

Ah! les couleurs! Rimbaud en rêve: «A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert». S'il n'y avait pas en effet quelques poètes plus fantaisistes, des enfants, des peintres, des aquarellistes et quelques fleuristes pour nous tenir en alerte, nous risquerions peut-être d'oublier. Vienne le printemps, et nous y sommes: blancs perce-neiges, feuilles neuves toutes vertes, jonquilles jaunes, tulipes rouges. Et ce bleu du ciel au temps de la pleine lune. Kandinsky l'a dit: «Le bleu profond, la couleur la plus typiquement céleste, attire l'homme vers l'infini.» Dire que d'autres préfèrent le rose, le blond, le brun, le roux, voire le noir! Faisons un sondage. Un autre! «Dites-nous votre couleur préférée!» Pour être certain d'avoir raison, tout de suite, je réponds: «Blanc! Blanc partout! Blanc toujours!»

Ont-ils tort ou raison, ces savants, chercheurs d'avenir, qui, face à la pollution accélérée de la planète, croient que la fin des temps approche et qu'il ne restera plus bientôt qu'une «terre» toute petite... et blanche? Telle est l'opinion de Trinh Xuan Thuan, un «astrophysicien de renom autant qu'un observateur passionné du ciel», ainsi que l'appelle Caroline Montpetit dans un cahier du Devoir (13 décembre 2003). Dans Origines - La nostalgie des commencements (Fayard, 2003), Trinh Xuan Thuan, le célèbre auteur de La Mélodie secrète (1988), prévoit qu'à la toute fin de notre monde, la plus célèbre de nos étoiles, le Soleil, «va s'effondrer en une naine blanche de la taille de la Terre» pour ensuite engloutir avec elle Mercure, Vénus...

Franchement et bouddhistement plus optimiste est Tagore (1861-1941), qui prévoit une finale toute de feu et de lumière: «Le mur s'entrouvre, la lumière, rire divin, le traverse / Victoire, ô Lumière / Le coeur de la nuit est percé!... / Accours, ô Toi qui es terrible dans ta blancheur immaculée / La mort agonise dans un jaillissement de splendeur!» (La Corbeille de fruits, page 39).

Telle n'est pas exactement la perspective de plusieurs religions, dont le christianisme. Jésus de Nazareth a vu la mort en face, l'a subie, l'a intégrée, au point de dire: «Qui croit en moi, même s'il meurt, aura la vie éternelle!» Là se trouve une promesse de vie. Vie promise à chaque personne. Par résurgence! Là se trouve une promesse de vie. Vie promise à chaque personne. Par résurgence? Par renaissance? Par résurrection, après révision, bien sûr, de chaque destinée? Survie de l'univers aussi: «Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle» (Apocalypse, 21, 1).

Et les couleurs, maintenant? Alignés sur les mêmes récits de notre ère, nous nous rappellerons que Jésus de Nazareth, un jour transfiguré, portait une robe blanche, «si blanche qu'aucun foulon sur terre ne peut blanchir de la sorte». De même, Jean de Patmos, l'un des quatre évangélistes à proclamer qu'il a bel et bien vu Jésus de retour, précise que les deux anges qui saluent le témoin Marie-Madeleine, au matin de Pâques, sont vêtus de blanc.

Si nous consultons de nouveau les textes sacrés, voici que le blanc — encore lui! — signifie la gloire de Dieu et même sa miséricorde, comparable selon les psaumes à la plus blanche des blanches neiges. De quoi nous réconcilier avec l'hiver prochain! Si nous nous en prenons encore à la «révélation» du charismatique prophète Daniel (160 avant Jésus-Christ), Dieu en personne s'est un jour présenté à nous comme un vieillard de grande sagesse; il portait un vêtement blanc et sa chevelure était blanche «comme de laine nettoyée».

Il n'en fallait pas autant pour que la pâque chrétienne se célèbre en blanc: blanches nappes à l'église, chasuble blanche, étole blanche, roses blanches si possible. Les nouveaux baptisés sont invités à revêtir une belle tunique blanche pour signifier la fête.

Les symboles ont la vie dure. C'est à tel point que certains chercheurs, dont l'écrivain et jésuite Michel de Certeau (1925-1986), ont imaginé l'éternité d'une infinie blancheur, comme éblouie par la vision de Dieu. Non plus, cette fois, une simple image ou parabole, mais un événement. Grand éblouissement! Ravissement suprême! Éternelle joie! Comme si je voyais le soleil de face: la lumière prend tout...

Ne nous arrive-t-il pas parfois de fermer les yeux pour mieux regarder et mieux penser? «Pour bien voir la lumière, dit un ami, éteins ta chandelle!» Extase blanche!

Si, en définitive, la célébration de Pâques n'existait que pour nous aider à rêver, même à croire à cette possibilité d'une mort subite mais aussitôt annulée pour un univers tout blanc, dans un temps-lumière, dans un temps-amour, il me semble que cette fête déjà prestigieuse mériterait qu'on se dise au moins aujourd'hui, chacun, chacune, selon sa pensée respectée: joyeuses Pâques! Joyeuses Pâques quand même!

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